« An Expression of Absence » : l’héritage du colonialisme en question

13 décembre 2022   •  
Écrit par Costanza Spina
« An Expression of Absence » : l'héritage du colonialisme en question
Jusqu’au 18 décembre, le Bronx Documentary Center présente l’exposition An Expression of Absence, qui met en avant les talents émergents de la photographie documentaire arabe. A défaut de pouvoir se rendre New-York, voici nos coups de cœur !

Le Bronx Documentary Center et la Fondation Magnum présentent An expression of absence, un projet issu du Arab Documentary Photography Program (ADPP). Quinze artistes sont invité·e·s, dont dix exposé·e·s au BDC et cinq à la Magnum Foundation. L’exposition, s’inspirant du poète Mahmoud Darwish et du critique John Berger, explore la manière dont la photographie évoque la perte provoquée par le déracinement, la migration et l’appropriation de sa culture. Face à l’héritage du colonialisme et de l’instabilité politique de l’Afrique du Nord, la photographie devient alors un moyen de penser l’absence, la nostalgie, la disparition, l’effacement… elle immortalise ce qui n’est pas ou plus dans le cadre, en laissant planer un sentiment de deuil et de quête. Chacun·e des artistes s’interroge sur comment l’histoire de cette dépossession permanente influence les notions de foyer et d’appartenance. Et trois femmes photographes se sont emparées du sujet avec une puissance particulière : Thana Faroq, Amina Kadous et Rehab Eldalil.

© Rehab Eldalil

© Rehab Eldalil

L’identité, entre effacement des racines et quête des origines

Rehab Eldalil est une photographe née et installée au Caire qui ne cesse d’explorer la question de l’identité. Pour renouer avec ses ancêtres bédouins, elle a cofondé Catherine Exists, un centre bénévole qui aide les communautés bédouines du sud du Sinaï, en Égypte, et leur fournit des services médicaux. Sa série The Longing Of The Stranger Whose Path Has Been Broken est le récit de l’interconnexion entre les personnes et leur terre, ce lien qui définit en partie la notion d’appartenance. Sur son compte Instagram, la photographe résume ainsi sa démarche narrative et documentaire : « j’ai cherché à comprendre à quoi j’appartenais et j’espère que tous ceux qui verront cette œuvre s’y reconnaîtront. »

Amina Kadous, elle aussi égyptienne, a quant à elle entrepris un périple guidée par ses origines, intrinsèquement liées à l’histoire du coton. Lauréate du prix Madame Figaro 2022 avec sa série White gold,  la photographe est originaire d’El-Mahalla El Koubra, la ville où l’usine Misr Spinning & Weaving siégeait –  pionnière dans le secteur jusqu’au années 1970 et plus grande usine textile au monde. Son projet mêlant récit personnel et national, retrace l’histoire de sa propre famille, comme celle de son pays. « M’inspirant de l’héritage de mes grands-parents, de leurs archives et de l’histoire de mon pays en train de s’éroder, j’essaie de reconnecter et récolter ce qui reste de nos propres graines de coton en train de se dessécher. De ce qui fut jadis un symbole majeur de notre identité égyptienne », explique-t-elle.

© Amina Kadous

© Amina Kadous

Enfin, dans I was younger yesterday, Thana Faroq – photographe originaire du Yémen, ayant déjà couvert le guerre dans son pays – se penche sur l’existence des migrant·e·s dans l’attente de recevoir leur statut de réfugié·e·s. Ses modèles, Ammar, Lyla, Rahmin, Hafsa et Chaman sont contraint·e·s à une attente indéfinie, loin des lieux de leur cœur, déraciné·e·s et laissé·e·s pour compte. L’amertume, la déception et la nostalgie émergent des images, qui décrivent, avec la poésie et la justesse du vécu, la vie dans les limbes de l’attente. Au sein de l’exposition, le portrait de Hafsa est saisissant : une Syrienne de 31 ans « aux yeux sombres qui brillent plus fort que la lune. Une mère de deux enfants. Son aînée s’appelle Layan, mais nous l’appelons Lulu. Lulu est atteinte d’ostéogenèse imparfaite (OI), également appelée « maladie des os fragiles ». Hafsa est demandeuse d’asile aux Pays-Bas depuis 2015. Sa demande a été refusée plusieurs fois » écrit Thana sur son compte Instagram.

Sensibles, les œuvres de ces trois photographes résonnent particulièrement avec les poèmes de Mahmud Darwish, qui a décrit le vide intérieur et la désolation laissé par la colonisation en ces termes : « Peu importe à quel point vous vous rapprochez, vous resterez éloigné. Peu importe combien de fois vous êtes tués, vous vivrez. Alors ne pense pas que tu es mort là-bas, et vivant ici. Rien ne prouve ceci ou cela, sauf la métaphore. »

© Sara Sallam

© Sara Sallam

© Thana Faroq

© Thana Faroq

Image d’ouverture : © Thana Faroq

Explorez
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
À la sortie de l'école dans un village de la côte, Nord Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
Le musée Guimet des Arts asiatiques et l’association Les Amis de Marc Riboud s’unissent pour présenter l’exposition Marc Riboud –...
18 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d'inspiration »
Le linge, 2021 © Basile Pelletier
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d’inspiration »
Le jeune talent Basile Pelletier, 21 ans, ancien élève de la section art et image de l’école Kourtrajmé, échange avec le photographe...
17 avril 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
© Piotr Pietrus / Instagram
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine font résistance. Résistance contre l’oppression, contre les diktats, contre les...
15 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
© Olivia Gay
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
La quatrième édition de Fotohaus Bordeaux a commencé. Jusqu’au 27 avril 2025, l’Hôtel de Ragueneau accueille l’événement qui, cette...
12 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l'œil de SMITH : métamorphose des sols
Dami (Fulmen), 2024 © SMITH, Courtesy Galerie Christophe Gaillard.
Dans l’œil de SMITH : métamorphose des sols
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de SMITH, qui nous révèle les dessous de deux images issues de sa série Dami (Fulmen), réalisée lors de...
21 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #540 : Rosalie Kassanda et François Dareau
© Rosalie Kassanda
Les coups de cœur #540 : Rosalie Kassanda et François Dareau
Nos coups de cœur de la semaine, Rosalie Kassanda et François Dareau, arpentent les rues du monde en quête de quelques étonnements et...
21 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
© Louise Desnos
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
C’est l’heure du récap ! Récits intimes, histoires personnelles ou collectives, approches de la photographie… Cette semaine, la mémoire...
20 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
© Sander Coers
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
Au fil de ses projets, Sander Coers sonde la mémoire en s’intéressant notamment à l’influence que nos souvenirs exercent sur notre...
19 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet