Angela Strassheim : crime éclairé

16 janvier 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Angela Strassheim : crime éclairé
Preuve n°10. Evidence © Angela Strassheim
Preuve n°5. Evidence © Angela Strassheim

Formée à la photographie médico-légale, Angela Strassheim pose le décor d’énigmes non élucidées dans sa série Evidence. Puisant dans les notions d’absence et de deuil, elle dévoile les traces invisibles des crimes qui subsistent malgré le temps sur les murs et croisent ces éclaboussures de sang monochromes avec les devantures de maisons de banlieue américaine, véritables théâtres d’homicides.

La façade d’une maison, les arbres qui la bordent, le soleil qui illumine ses fenêtres. Un foyer ordinaire dans une banlieue américaine tout aussi ordinaire. Autour, tout semble paisible, immobile, imperméable au temps qui passe. Et puis, une ellipse. À l’intérieur, les pièces sont plongées dans l’obscurité, le noir efface les meubles comme les marques du vivant. Pourtant, d’étranges traces blanches tranchent avec la pénombre ambiante. Des éclaboussures, des traînées translucides marbrant l’environnement de zébrures abstraites. « Le luminol réagit avec les métaux présents dans notre sang, révélant non seulement leur présence par son éclat mais mettant également en évidence les vestiges cachés de la vie. Ses traces restent détectables pendant des années », explique Angela Strassheim. Après avoir obtenu sa licence à l’École des beaux-arts et du design de Minneapolis en 1995, l’artiste s’est formée à la photographie médico-légale. Une pratique lui ayant appris « la précision technique du flash, le contrôle de la lumière et la méthodologie du cadrage » et nourrissant, en parallèle, son goût pour la narration détaillée. Durant les enquêtes de la police scientifique, les longues expositions et le recours à la chimiluminescence pour relever des preuves lui inspirent une expérimentation visuelle plus personnelle. Des expériences qu’elle développe en étudiant le médium photographique à Yale – de ses essais naissent des images hantées par le spectre d’une furie invisible, aussi belles qu’effroyables. Et puis un jour, un incident survient : « Une étudiante de mon école a été tuée dans un appartement que j’avais moi-même habité. Ça m’a bouleversée, et durant la crise financière de 2007- 2008 – qui a coïncidé avec une augmentation de la violence domestique –, j’ai su qu’il était temps de débuter Evidence », confie-t-elle.

Un calendrier accroché sur le frigo d'une cuisine
Le calendrier marque la date du meurtre. Evidence © Angela Strassheim
Couteau. Evidence © Angela Strassheim

La lumière révèle les souffrances

Fruit d’une recherche approfondie – archives publiques, études de cas –, la série s’accroche au réel : les maisons photographiées sont de véritables décors de meurtres, portant, malgré les années, les empreintes des crimes commis en leur sein. « Y pénétrer était l’étape la plus difficile, explique Angela Strassheim. Certain·es résident·es étaient des membres de la famille, d’autres des étranger·ères. Celles et ceux qui m’ont permis d’entrer se sont dit que les victimes auraient voulu que leurs histoires soient racontées. Une seule personne m’a demandé de voir le résultat final : une mère qui n’avait pas touché à la chambre de sa fille assassinée, la pièce étant devenue un lieu de commémoration. Elle m’a remerciée d’avoir honoré sa mémoire, même si c’était une expérience très intense pour elle. » Ainsi, la magie opère. Malgré le filtre du temps, la lumière révèle les impacts et la souffrance qui imprègne les foyers. Ce voyage au plus près de la mort fait écho au propre passé de l’artiste. « Dès mon plus jeune âge, j’y ai été confrontée de manière viscérale. D’abord en voyant des unités de secours à ma porte puis, à l’âge de 5 ans, lorsque j’ai découvert un corps en me promenant. Ces événements ont éveillé ma curiosité, la maison sombre au bout de ma rue devenant la toile de fond de mon imagination », se souvient-elle. Opposant l’abstraction des monochromes à l’ordinaire des banlieues, la photographe fait d’Evidence un récit fascinant au cœur duquel enfle une menace sourde. Des devantures familières aux trouvailles enfouies dans l’obscurité, les strates se mélangent, dissimulent pour mieux révéler.

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #69.

Preuve n°2. Evidence © Angela Strassheim
Photo de la chambre où l’épouse et mère est décédée. Evidence © Angela Strassheim
Deux fusils de chasse Mossberg de calibre 12, maison Menendez. Evidence © Angela Strassheim
Preuve n°1. Evidence © Angela Strassheim
Calibre revolver. Evidence © Angela Strassheim
À lire aussi
Focus #45 : Paola Jimenez Quispe mène l’enquête sur le meurtre de son père
Focus #45 : Paola Jimenez Quispe mène l’enquête sur le meurtre de son père
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Cette semaine, Paola Jimenez Quispe revient, dans Rules for Fighting, sur un épisode bouleversant…
03 mai 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Fisheye #69 : éveiller les soupçons
© Mark Mahaney
Fisheye #69 : éveiller les soupçons
En ce début d’année, Fisheye éveille la curiosité qui sommeille en nous en consacrant son premier numéro de 2025 à une thématique…
08 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
© Simon Vansteenwinckel
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
Le nom du lauréat de la 71e édition du prix Nadar Gens d’images vient d’être annoncé : il s’agit de Simon Vansteenwinckel. Le jury l’a...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
© Emile Gostelie
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
Dans cet espace pensé comme une exposition, un·e photographe et un·e commissaire croisent leurs regards. Pour cette première édition...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Fisheye #74 sonde la notion d’éthique en photographie
© Stan Desjeux
Fisheye #74 sonde la notion d’éthique en photographie
Fisheye #74 sera disponible en kiosque ce samedi 8 novembre ! En ce mois consacré à la photographie, notre nouveau numéro s’intéresse à...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
© Laura Menassa
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
Entre journal intime visuel et témoignage collectif, le travail de Laura Menassa explore la fragilité et la résilience au cœur de...
04 novembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Laura Lafon Cadilhac : s'indigner sur les cendres de l'été
Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor © Laura Lafon Cadilhac
Laura Lafon Cadilhac : s’indigner sur les cendres de l’été
Publié chez Saetta Books, Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor de Laura Lafon Cadilhac révèle un été interminable. L’ouvrage se veut...
07 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Écofemmes Fest : un rendez-vous pour créer, lutter, transmettre
Trenza, le lien qui nous unit, 2025 ©Gabriela Larrea Almeida
Écofemmes Fest : un rendez-vous pour créer, lutter, transmettre
Jusqu'au 9 novembre prochain, La Caserne, dans le 10e arrondissement de Paris, accueille la première édition d’Écofemmes Fest, un...
07 novembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
© Simon Vansteenwinckel
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
Le nom du lauréat de la 71e édition du prix Nadar Gens d’images vient d’être annoncé : il s’agit de Simon Vansteenwinckel. Le jury l’a...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
© Emile Gostelie
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
Dans cet espace pensé comme une exposition, un·e photographe et un·e commissaire croisent leurs regards. Pour cette première édition...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche