Les clichés de mode du photographe Arash Khaksari se reconnaissent par leur absence de couleurs presque absolue. Une sobriété qui laisse place à la profondeur d’un message pourtant subtil : réhabiliter les mannequins au cœur de leurs propres récits.
« Mon père était réalisateur, et ma mère était actrice. Avoir une jolie caméra à la maison fait partie de nos habitudes. Cela nous est indispensable, c’est un peu comme avoir un salon avec canapé et télé. » Si tout prédestinait Arash Khaksari à une carrière artistique, rien ou presque ne le promettait précisément au métier de photographe. Il y a encore trois ans de cela, l’artiste iranien occupait un emploi dans le monde du commerce, mais l’ennui était palpable. Un monde « beaucoup trop carré » pour celui qui affirme préférer les ronds, pour « la douceur qu’ils apportent au quotidien ».
Mode et attrait pour la pellicule ne sont venus à lui que récemment, simultanément. Une symbiose semblable à un moment de grâce, empreint d’une liberté qui renaît de ses cendres. Avant sa reconversion professionnelle, Arash Khaksari travaillait dans un concept store de jeunes créateurs. C’est là-bas que le tombé du vêtement, que la beauté d’un cliché élégamment orchestré le toucha pour la première fois. En parallèle, sa sœur lui proposa d’emprunter le boîtier dernier cri qu’elle venait de se procurer. Les astres étaient favorables. Le sujet, le matériel, le moment opportun… Tout coïncidait enfin. Cette trinité acheva de le convaincre : désormais, il se ferait créateur d’images.
Cristalliser le charme immuable des débuts
Lorsque l’on demande à Arash Khaksari de quelle façon il perçoit son œuvre, quelques mots lui suffisent : intemporelle, simple et sophistiquée. Un élan de sobriété à l’image de ses projets, tous plus minimalistes les uns que les autres. « J’ai l’impression d’avoir un ADN assez précis. Je préfère que l’on reconnaisse mon style plutôt que l’on me dise que ma photo est belle. » Et cette identité se traduit par un choix marqué, le désir d’inscrire ses clichés dans une temporalité abolie. Opter pour un nuancier qui oscille entre le noir et le blanc va dans ce sens. Il privilégie ainsi la géométrie des formes à la couleur, qu’il juge trop commerciale. Cette dernière apporte profondeur et sensualité à chacune de ses compositions, et leur confère une harmonie involontaire.
Ce fruit du hasard subsiste, par ailleurs, dans chacun des projets d’Arash Khaksari. « Je suis ce qui m’inspire, c’est ma passion avant tout », déclare-t-il. Toute l’influence et la spontanéité de l’envie restent au cœur de son processus créatif. Malgré la préparation préalable d’un moodboard, l’artiste cherche surtout la poésie d’un instant volatil qui s’exprime de lui-même. C’est la magie d’un cliché brut – qui passe de l’appareil à l’écran et qui n’a de cesse de le fasciner – qui singularise ses séries. Le photographe cristallise ainsi l’essence même des prémices de son travail. C’est ce charme immuable des débuts, des siens, mais aussi des 7e et 8e arts, qu’il souhaite encore et toujours conserver par-delà les années.
Deux figures féminines et féministes qui ont nourri sa sensibilité
La poésie de l’instant se retrouve également dans la fragilité d’une rencontre – provoquée par le casting. Toutefois, Arash Khaksari prend le temps de discuter avec celles et ceux qu’il s’apprête à photographier. Mieux appréhender leur histoire, qu’il ne connaît pas encore, lui est essentiel. Et lorsque ses sujets ne sont guère volubiles, il leur donne une voix. « J’indique le nom des mannequins, car c’est leur vie que j’ai envie de raconter », ajoute-t-il. Ses modèles sont pareils à des « acteur·ices », loin d’être des personnages passifs, soumis à l’œil du photographe. Ils agissent et font partie intégrante du projet. « Et même quand je collabore avec des marques, je les place toujours en premier, car ils sont le centre de mon travail, de mon intérêt », poursuit-il. L’artiste cherche ainsi à replacer les mannequins au cœur de leurs propres récits. Une considération qui s’inscrit dans l’air du temps. Car il est vrai qu’elle fait écho aux récents mouvements de réappropriation de l’image des mannequins, ceux qui mettent à mal le male gaze de bien des manières. Seulement, si Arash Khaksari encourage certainement ces actions, pour lui, il s’agit d’une façon de faire naturelle, héritée de son environnement familial : le photographe a grandi avec sa mère et sa sœur, deux figures féminines et féministes, qui ont nourri sa sensibilité.
Car celle qui l’a élevé, également poète, défend activement le droit de ses consœurs iraniennes. Esquisser des portraits d’êtres réifiés lui est donc impensable. « Il existe des détails, dans leur vie privée, qui sont particulièrement émouvants. Ils n’ont rien d’anecdotiques, mais la société les rend invisibles. Quand tu te construis dans un tel univers, tu ne peux qu’être touché. Ces éléments ont transformé ma vision de la féminité. » Ces quelques mots rejoignent, finalement, sa conception de l’émotivité. Une force, plus qu’une faiblesse, issue de nos expériences passées. Celle d’Arash Khaksari est teintée de ces histoires de femmes, quintessence de son œuvre, qu’il souhaite désormais célébrer. C’est pourquoi, à travers ses images, le photographe entend redonner un tant soit peu la parole à celles qui, d’ordinaire, ne l’ont qu’en apparence. Une démarche dédiée à la gent féminine, trop souvent réduite, par nos sociétés, à une discrétion forcée.
© Arash Khaksari