La nouvelle exposition du Hangar, à Bruxelles, met en lumière une vingtaine d’artistes qui ont choisi de transformer leurs photographies en objets uniques. Autant d’actes créatifs qui explorent les limites du médium tout en évoquant des problématiques contemporaines.
La photographie est à l’origine un art de la reproductibilité. L’histoire du 8e art est balisée par de nombreuses expérimentations transformant les images produites en objets uniques. Du daguerréotype au mouvement pictorialiste, qui tentait de légitimer la photographie comme art à part entière par une intervention de la main rendant chaque épreuve singulière, les propositions sont multiples. La prolifération des images numériques à travers les réseaux et les écrans a sans doute réactivé ce besoin de donner aux images une matérialité et une présence qui leur faisait défaut. L’unicité des épreuves alors produites, au-delà de leur valorisation sur le marché de l’art, est devenue depuis plusieurs années un champ d’investigation pour les artistes, comme l’a rappelé la très belle exposition L’Épreuve de la matière, à la BnF récemment. Et comme le réaffirme avec panache l’exposition Unique, Beyond Photography, présentée actuellement au Hangar, à Bruxelles.
Vision magnétique et fantastique
Les vingt-et-un artistes exposé·es sur les mille mètres carrés et les trois niveaux du Hangar ont pour moitié moins de 40 ans, et résident en Belgique. On retrouve ainsi certains noms bien connus des lecteurs·ices de Fisheye, comme Alice Pallot (exposée en ce moment à la Fisheye Gallery) et Laure Winants. Toutes deux s’intéressent aux questions environnementales. La première en déployant un volet inédit de sa série Algues maudites, avec des images qui composent une nouvelle cosmogonie, aussi inquiétante qu’onirique. La seconde en explorant le spectre chromatique traversant une tranche prélevée dans une carotte glaciaire, nous entraînant ainsi dans un voyage dans le temps et dans l’éphémère des couleurs ainsi produites.
Connectés à la nature et plus précisément à la forêt, les travaux de Morvarid K, Sylvie Bonnot, Pepe Atocha et Douglas Mandry nous ont également séduits. Morvarid K développe en trois séries des expérimentations sur des forêts brûlées en recouvrant d’un filtre coloré au stylo bille un paysage dévasté, en frottant un papier photo directement au charbon des arbres brûlés, ou en brûlant des fragments d’images qu’elle assemble avec délicatesse en miniatures précieuses ou en un grand format qui recompose le paysage. Sylvie Bonnot, dont on a pu voir le portfolio dans Fisheye 64, reprend ses mues réalisées en Guyane et investit les murs du Hangar avec une œuvre de neuf mètres carrés. Impressionnante présence organique d’une forêt amazonienne dont elle restitue ici le mystère et la fascination. Lui aussi en Amazonie, mais du côté péruvien, Pepe Atocha nous propose, lui, une vision magnétique qui flirte avec le fantastique. Enfin, Douglas Mandry réalise une série étonnante en brûlant des panneaux de bois au chalumeau sur lesquels il imprime des photos trouvées de forêts tropicales. Il utilise pour cela des pigments vifs mélangés à une poudre rouge utilisée comme retardateur avec l’eau répandue sur les incendies. Le résultat est tout simplement poignant.
S’inscrire dans l’histoire du médium
On trouve également dans cette déambulation photographique le très beau travail de Lior Gal qui déroule le fil de sa mémoire des paysages en entourant ses compositions grand format d’un fil (soie ou coton) qui tisse un voile subtil. Pour lui, « les images existent en premier dans la rêverie, puis apparaissent au monde ». Encore une découverte avec l’artiste Gundi Falk, qui a travaillé plusieurs années avec Pierre Cordier, l’inventeur du chimigramme au milieu des années 1950 (technique qui consiste à créer des images par des réactions chimiques sur un papier sensible), et qui « interprète simultanément le jeu complexe entre hasard contrôlé et incontrôlable durant le processus créatif ». Ses compositions se réfèrent aux travaux de Bernd et Hilla Becher, tout en interrogeant la Subjektive Fotografie d’Otto Steinert. Une manière de s’inscrire dans l’histoire du médium pour en écrire une nouvelle page avec talent.
Vincent Zanni combine de son côté les techniques traditionnelles et contemporaines pour mettre en valeur l’importance du processus de création. Les images de la maison de sa grand-mère servent ici de support à un questionnement de la mémoire, en explorant la relation entre les images et les souvenirs. Sans énumérer les 21 artistes de l’exposition, on ne saurait passer sous silence la proposition de Stephan Vanfleteren. L’immense photographe belge confronte ici la lenteur du processus de décomposition à la vitesse de l’obturateur de l’appareil photo. Son image représente les mains de l’artiste néerlandais Armando, décédé en 2018. Cette épreuve a été enterrée en 2018 avant d’être exhumée un an plus tard, révélant au passage l’écoulement du temps et ses stigmates.
Saisir une métamorphose
« Dans Unique, Beyond Photography, il est question de signification et de prise de conscience. La plupart des artistes relient leur pratique gestuelle à des approches conceptuelles, abordant des sujets tels que l’écologie, le rôle de la femme, la dégradation de la nature, les bouleversements technologiques, et bien d’autres, alimentant ainsi les grands débats mondiaux, analyse Delphine Dumont, directrice du Hangar. Ensuite les artistes interrogent le concept de mémoire. Un simple tirage suffit-il à préserver la mémoire ? Certains d’entre elleux tentent de saisir cette métamorphose en intervenant sur le tirage, ajoutant des marques du temps, presque comme des rides sur un visage vieilli. » Véritable manifeste artistique, l’exposition proposée par le Hangar met en avant nombre de créatrices et de créateurs émergent·es qui renouvèlent les écritures de la photographie contemporaine. À noter qu’un très beau catalogue rassemblant les artistes exposé·es (en français, anglais et néerlandais, 45 €, 176 pages) est disponible sur place ou via le site du Hangar.
L’exposition Unique, Beyond Photography se tient au Hangar de Bruxelles jusqu’au 8 juin 2024.