Comment s’auto-représenter ? Quel lien entre image et identité ? Axelle Cassini, à travers son œuvre poétique et nuancée, explore ces questions sans jamais en figer les réponses.
« C’est par la photographie que je suis sortie de la timidité », confie Axelle Cassini. Et plus particulièrement grâce à la pratique de l’autoportrait, à laquelle iel s’adonne depuis une dizaine d’années. Sa démarche s’approfondit au fil du temps, passant de « selfies sophistiqués » à des images plus travaillées, nourries de références variées. On y voit par exemple l’influence de Claude Cahun, d’Alix Cléo Roubaud ou encore de Francesca Woodman. Comme elles, Axelle Cassini mêle photographie et écriture, en écho avec son activité d’écrivain·e et de libraire. Comme elles, le·a jeune artiste accorde une grande importance à la mise en scène : ses clichés aux poses soignées s’accompagnent souvent d’éléments révélant le caractère artificiel de l’image et son contexte de production. Ce qui motive ces projets ? Le thème de la représentation de soi, traversant l’ensemble de son œuvre.
Dans la lignée des artistes queers et féministes utilisant l’autoportrait pour se réapproprier leur image, le·a plasticien·ne interroge la sienne à son tour . Explorant la façon dont on se présente au monde, iel se penche sur le genre, notion d’où nous provient grand nombre d’injonctions. Notre façon de nous comporter, de nous habiller, de nouer des relations varie si on est perçu·e comme étant un homme ou une femme. C’est pourquoi l’artiste s’attache à étudier le rôle du regard de l’autre dans cette fabrication du « moi » et le retranscrit dans la forme même de son travail. Ainsi le motif du fragment, les pages blanches qui parsèment ses livres, la dimension manipulable de certains de ses ouvrages sont-ils autant de facteurs donnant au spectateur·ice une part active.
Le théâtre du moi
Chez Axelle Cassini, l’autoportrait est un lieu de métamorphose. Habillé·e en marin, vêtu·e d’une chemise-cravate ou d’un costume aux airs victoriens, iel pose avec sérieux, fixant l’objectif. En arrière-plan, des rideaux fermés renforcent la dimension théâtrale de l’image. Le plancher sous ses pieds devient une estrade, son regard caméra, une rupture avec le 4e mur. La mise en scène est pleinement assumée. Elle se prolonge parfois même à travers de subtiles mises en abyme. Dans l’une des photographies, on aperçoit son auteur·ice assis·e sur un haut tabouret, faisant mime de lire un livre dont le titre n’est rien d’autre que son prénom. Dans une autre, iel tient contre son torse un carnet dans lequel est collé son portrait en miniature. C’est une véritable quête de soi qui se déploie au sein de ces images, le·a plasticienne partant, à travers elles, à la recherche de son identité.
Jonglant avec les tenues, Axelle Cassini apparaît tantôt sous des traits masculins, tantôt féminins. « J’ai beaucoup joué avec les codes de la féminité, mais cela fait deux ans que je m’en suis détaché·e et que je ne me reconnais plus dans ce type de représentation », explique-t-iel. Réalisant être non-binaire, iel décide de retranscrire cette fluidité de genre au sein de ses autoportraits. Ces derniers ne constituent d’ailleurs pas une série évolutive, mais un tout non linéaire. Ils coexistent et s’entremêlent, à l’image de leur accrochage en constellation – c’est-à-dire en un agencement éclaté – lors de l’exposition collective La Morsure du détour accueillie durant l’été 2024 à Mains d’Œuvres (Paris). Mais à mesure que le·a photographe s’affranchit des codes sociétaux, la dimension théâtrale s’amenuise et les rideaux disparaissent. Iel se met progressivement à nu, sans masque. Il n’est plus besoin de performer.
Le cinéma miroir
Lorsqu’on manque, autour de soi, d’images dans lesquelles se reconnaître, s’auto-représenter apparaît comme un acte nécessaire. Dans son ouvrage Make up a name only you’d call me, l’auteur·ice écrit : « Avant d’en arriver à la conclusion (aujourd’hui évidente) que j’étais lesbienne, il m’a fallu déconstruire toutes les images que j’avais accumulées dans mon esprit et toutes les choses qui étaient attendues de moi. » Et c’est précisément ce que le cinéma lui a permis de faire. En particulier un film, Go Fish, réalisé en 1994 par Rose Troche. Le long-métrage se penche sur un sujet alors très peu documenté, le quotidien de femmes lesbiennes, leurs amours et amitiés. Profondément ému·e par cette fiction dans laquelle iel se retrouve enfin, Axelle Cassini décide d’en extraire des passages et de les agencer dans son livre. « Je ne voulais pas rejouer le fil narratif de Go Fish et produire un roman-photo mais faire exister les images telles quelles », explique l’artiste. Accompagnées de répliques oscillant entre humour et tendresse, elles sont éditées en pleine page, exposant la beauté de leur grain et la délicatesse des étreintes qui s’y déploient.
Grâce à l’œuvre de Rose Troche, Axelle Cassini découvre une façon d’être au monde qui lui correspond véritablement. Par-delà ses beaux plans, le film lui a permis de « [se] délester du poids d’avoir à se représenter soi-même » et de trouver dans le collectif ce qu’iel ne pouvait construire seul·e : des repères. On dit qu’on pense avec le langage. Ce sont ici les images qui prennent le rôle des mots et permettent à l’artiste de se nommer autrement que par l’autoportrait.