Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les sujets qui les inspirent particulièrement. Aujourd’hui, Diane Meyer nous plonge dans son univers où les souvenirs se parent de points de croix.
Si tu devais ne choisir qu’une seule de tes images, laquelle serait-ce ?
Je pense que je choisirais « Mauer Park ». C’est la première image brodée que j’ai réalisée pour la série Berlin. Je me trouvais à Berlin pour une résidence artistique en janvier et février, ce n’était pas la meilleure période de l’année pour visiter cette ville. Il faisait très froid, il y avait des records de basse température et les journées étaient courtes. Je me souviens avoir pris cette photo fin février, en fin d’après-midi. C’était l’une des premières journées un peu plus chaudes. Bien que le cadre semble vide, il y avait un grand nombre de personnes dans le parc et on sentait un sentiment collectif d’excitation, car les gens pouvaient à nouveau se rassembler dehors pour le début de la fin de ce long hiver.
La première photographie qui t’a marquée et pourquoi ?
Je pense que la toute première photographie qui m’a frappée était un instantané flou de moi-même. J’avais probablement autour de 3 ans et mon frère aîné, alors adolescent, s’était récemment procuré un Polaroid et l’avait monté sur un trépied dans sa chambre. Un jour, il m’a dit de ne pas y toucher et a quitté la pièce, alors j’ai fait ce que n’importe quel enfant ferait. J’ai réussi à prendre accidentellement une photo de mon visage regardant dans l’objectif. Lorsque mon frère est revenu, le cliché instantané est devenu la preuve que j’avais joué avec le boîtier. À un petit niveau, j’ai commencé à comprendre comment les photographies peuvent documenter, suspendre un moment dans le temps et témoigner de ce qui a été.
En ce qui concerne les tirages d’artistes, je dirais une image prise à Hoboken par Robert Frank dans le cadre de l’exposition Americans. Elle a eu une grande résonance en moi, notamment en matière de composition et de sentiments de mélancolie et d’isolement.
Un shooting rêvé ?
L’exploration des qualités physiques, sociales et psychologiques qui caractérisent un lieu ou la manière dont un espace précis a été façonné par la mémoire et l’histoire définit depuis longtemps mon travail. Mon shooting de rêve serait de me rendre pendant plusieurs mois dans un endroit où je ne suis jamais allée pour le découvrir à travers la photographie.
Un ou une artiste que tu admires par-dessus tout ?
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, car j’ai l’impression que mes influences changent constamment. Mais les œuvres de Sophie Calle m’ont toujours fascinée. Plusieurs de ses projets ont été importants pour moi à différents moments. Je suis particulièrement attirée par la façon dont son travail aborde la nature fragile de la mémoire, l’utilisation d’un appareil photo comme prétexte à l’exploration et à la recherche, l’élément de hasard, la narration et le mélange de l’art et de la vie.
Une émotion à illustrer ?
Fernweh, soit l’inverse du mal du pays. Ce terme allemand renvoie à la nostalgie d’expériences jamais vécues ou d’endroits jamais visités.
Un genre photographique, et celui ou celle qui le porte selon toi ?
Je choisirais les photographies expérimentales d’Angel Albarrán et Anna Cabrera. Le couple, installé à Barcelone, utilise un large éventail de techniques traditionnelles et expérimentales, mais la série à laquelle je pense tout particulièrement s’intitule This is You (Here). Les clichés sont imprimés sur du papier très fin. Le verso est recouvert d’une feuille d’or qui se reflète dans l’image de l’autre côté sous la forme d’un éclat incroyable. Cela attire le regard et souligne les thèmes de l’expérience et de la mémoire dans l’œuvre.
Un territoire, imaginaire ou réel, à capturer ?
J’aimerais retourner dans ma ville natale du New Jersey pour découvrir à quel point elle a changé.
Une thématique que tu aimes particulièrement aborder et voir aborder ?
Je dirais la nature poreuse de la mémoire et les façons dont elle peut être perturbée et remplacée par des images, ainsi que les moyens par lesquels la photographie transforme l’histoire en objets nostalgiques qui obscurcissent les compréhensions objectives du passé. Les conséquences des nouvelles technologies sur notre relation aux images photographiques m’intéressent aussi.
Un évènement photographique que tu n’oublieras jamais ?
Il est compliqué de n’en choisir qu’une… Je pense que l’exposition la plus importante pour moi a été la Whitney Biennal en 1997. J’étais encore étudiante, je venais d’emménager à New York, et c’était la première biennale à laquelle j’assistais. Je me souviens à quel point il était inspirant de voir tant d’œuvres incroyables dans un espace relativement petit. Cette année-là, l’évènement présentait les œuvres d’un certain nombre d’artistes dont le travail m’a marqué, notamment The Wooster Group, John Schabel, Phillip Lorca di Corcia, Gabriel Orozco, Zoe Leonard, Kara Walker, Sharon Lockhart, Diana Thater, Jason Rhoades, Ilya Kabakov, Bruce Conner, Richard Prince et Charles Ray.
Une autre exposition de la même époque dont je me souviens encore était A Rrose is a Rrose is a Rrose : Gender Performance in Photography au Guggenheim qui comprenait des œuvres de Claude Cahun, Marcel Duchamp, Cindy Sherman, Brassai, Janine Antoni, Nan Goldin, Hannah Hoch et bien d’autres.
Plus récemment, je dirais les expositions The Museum as Muse au MoMA, Sarah Sze au Guggenheim, et Gerhard Richter à la Neue National Galerie à Berlin.
Une œuvre d’art qui t’inspire particulièrement ?
Visuellement, La Nuit du chasseur de Charles Laughton (1955) m’a beaucoup inspirée. C’est un long-métrage étrange mais obsédant qui semble se dérouler dans un espace inventé fait d’ombres expressionnistes et de cinématographie expérimentale. Cela crée une beauté troublante qui existe parallèlement à la tension et au caractère effrayant de l’histoire et des personnages du film.