La première fois qu’il a entendu parler de Fisheye, Boris Allin, alias Odieux Boby, n’avait pas loupé beaucoup de numéros, car il s’agissait de la couverture de son copain Théo Gosselin qui signait le n°1. « Le hors-série de Théo, Bande de photographes !, a longtemps servi de décoration dans mon appartement. Je vivais un peu avec vous », précise-t-il. S’en suivra une vidéo réalisée par Fisheye lors des manifestations de la loi Travail, puis une couverture (Fisheye n°30, mai 2018) toujours sur un sujet social. « Fisheye m’a plu car cela ne parlait pas de matos, et la forme était soignée, ce qui me semble essentiel lorsqu’on publie des images », poursuit le photographe.
Lorsque je me demande pourquoi je ne suis pas photographe mais commentateur de la photographie, je regarde les photos d’Odieux Boby, et j’ai la réponse. Il perçoit ce que je ne vois pas, il rend compte d’une réalité qui me semble abstraite avant de la voir émerger dans ses images. Il a tout simplement du talent. Car si la photographie est accessible à tous, en sortir ce que l’on appelle dans le jargon, des « plaques », reste l’apanage de très peu de gens. Boby couvre les manifestations depuis de nombreuses années pour Libération, et la dernière séquence sur la réforme des retraites ne lui a évidemment pas échappée. « Mon but en arrivant en manif reste de ne pas ramener les mêmes images que les 150 photographes qui sont là. Cela m’oblige à ne pas regarder dans le même sens », précise-t-il. Et pour le coup, le bougre sait être différent et créer des icônes modernes, comme cette photo du bouclier avec le coeur bleu. « Il y a trois choses étonnantes sur cette image. Déjà, elle se présente à moi de manière très claire, alors même que personne autour de moi ne l’a faite. Ensuite, beaucoup de gens ont pensé que je l’avais bidouillée, alors que je ne ferai jamais cela. Enfin, j’ai appris que c’est un autre membre des forces de l’ordre qui avait dessiné ce coeur. »
Pour Boby, la manifestation est forcément un terreau fertile en scènes et en paysages, mais dans l’improvisation la plus totale. « Je pourrais dire que je me sens comme un chef cuistot en arrivant. J’ai une certaine pratique et des recettes, mais je n’ai aucune idée des ingrédients. En fonction de ce que je trouve, je vais élaborer mes images comme un plat. Je vois les choses venir de loin et, à un moment cela devient une évidence. Il ne reste plus qu’à bien assaisonner. » Une mécanique qui fonctionne pour celui qui soutient inconditionnellement l’Olympique de Marseille, et qui a l’amour de la photo chevillé au corps. D’ailleurs la question de l’engagement est liée à ses images, même si Boby y pose un regard de journaliste et ne déformera jamais volontairement la réalité. « Dans chaque situation, il faut savoir garder son calme et trouver la bonne attitude. Place de la Nation, je me suis retrouvé dans un immeuble en feu. Je savais que rien m’arriverait si je ne paniquais pas. » Ce calme, ce recul par rapport à cette matière vivante de la manifestation, il l’a acquis avec le temps. « Mon principal enseignement avec l’expérience reste de savoir louper une image. Je ne suis plus hanté par les images que je manque. Je le prends avec du recul et je me focalise sur la suivante. » Une philosophie qui porte ses fruits tant Boby réalise ce qui se fait de mieux en termes d’images lors des manifestations, et sur toutes ces dernières années. La révolte a trouvé son oeil. D’ailleurs une pancarte est apparue lors de la dernière manifestation : « Boby, montre-leur. » Tout un programme !