Bodies of Work : Marilou Poncin, héroïne du premier livre de Collapse Books

20 septembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Bodies of Work : Marilou Poncin, héroïne du premier livre de Collapse Books
© Marilou Poncin / Collapse Books
portrait type love doll
© Marilou Poncin / Collapse Books
coquillage en céramique
© Marilou Poncin / Collapse Books

Sorti le 7 septembre 2024, Bodies of Work, le tout premier livre de la maison d’édition Collapse Books, fondée par Bastien Forato, est dédié à l’artiste pluridisciplinaire Marilou Poncin. Regroupant un florilège d’œuvres, il propose une relecture du travail de l’artiste au détour de son sujet préféré : le corps.

« Marilou [Poncin] était à un point dans sa carrière où elle explosait, pourtant elle n’avait toujours pas édité de livre : c’était le moment », affirme Bastien Forato. Son master en design du livre presse en poche, le fondateur de la maison d’édition Collapse Books fait ses armes à la Galerie Perrotin. « Je suis arrivé au même moment que la directrice des éditions, et je l’ai rapidement assistée. Elle m’a beaucoup appris : c’était une experte, qui avait notamment travaillé sur les livres de Sophie Calle », se souvient-il. Fort de cette expérience, il poursuit sa spécialisation au sein même de Fisheye, dont il co-structure le pôle éditions. Un challenge qui lui permet d’apprivoiser le milieu du livre – ses acteurices, distributeurices, auteurices – tout en réalisant des ouvrages photographiques singuliers (Lilou de Lucie Hodiesne Darras, The Pigment Change d’Almudena Romero ou encore la collection Sub dédiée à une scène émergente, en marge de la production contemporaine, ndlr.) « Puis, lorsque je suis parti, j’ai repensé à un rêve que j’avais depuis toujours : créer ma propre maison », poursuit-il.

Se rapprochant d’abord de divers studios de design graphique, il réalise rapidement que ses postes précédents lui confèrent l’expérience nécessaire. Mais ce n’est qu’en échangeant avec Marilou Poncin – une amie dont il admire le travail – que son fantasme se concrétise : « Elle m’a fait confiance en me proposant de faire ce projet ensemble avec, comme ligne de mire, un solo show prévu en septembre », explique-t-il.

Une autre manière de produire

Sans structure ni fonds, Bastien Forato se lance dans un pari risqué : réaliser l’ouvrage entièrement seul. « Je ne voulais pas partager de crowdfunding, car pour moi, le projet allait voir le jour dans tous les cas, sans qu’il dépende ou non d’un public », précise l’éditeur, qui souligne également l’importance de « prendre son temps » pour mettre en place un « réel accompagnement ». Car s’il se laisse guider par sa passion, l’éditeur est conscient des difficultés du milieu : « Le secteur est niche, les ventes difficiles, il y a peu de places, mais beaucoup de maisons se créent : une nouvelle génération d’éditeurices veulent publier des choses différentes, des thématiques moins courantes, des artistes de certaines régions du monde… C’est une autre manière de produire ! », affirme-t-il. Puisant son inspiration dans un modèle anglo-saxon, plus friand des mélanges des genres, il entend croiser photographie, design ou même art contemporain au sein de ses collections, espérant sortir deux ouvrages par an. « Et Marilou était l’artiste parfaite pour démarrer », s’amuse-t-il. Au sein de Bodies of Work, les œuvres vidéo sont traitées comme des planches-contacts, les céramiques comme un bestiaire. Les chronologies se croisent, à l’épreuve du temps, pour appeler à « revisiter » le travail de l’autrice. « C’est un challenge, mais en même temps, ça raconte quelque chose. C’est une véritable relecture de son travail », ajoute-t-il.

homme sur une voiture
© Marilou Poncin / Collapse Books
peinture, portrait d'une femme
© Marilou Poncin / Collapse Books

Le corps comme fil rouge du récit

Divisé en plusieurs chapitres, le livre de Marilou Poncin suit un fil rouge, une obsession, colorant chacune de ses inventions : le corps. Mises en scène, performances, sculptures, vidéo, créations abstraites… Des images imprimées émane toute une réflexion sur la place de la femme dans une société patriarcale, sur le regard que l’on pose sur elle – qu’elle soit anonyme ou artiste. À la croisée des médiums, Bodies of Work s’intéresse d’abord, dans « Beauty Standards » à l’image des femmes dans les médias. Les standards de beauté attendus, la critique d’un corps « mis à mal » par la critique. Tirant le fil, l’artiste se penche ensuite, avec sur le corps onirique, fantasmé – celui que l’on trouve dans les magazines érotiques, et, en parallèle dans ses vidéos. Son travail emblématique sur les love dolls est à retrouver dans la troisième partie, dédiée à la femme objet. Ici, tout idée d’organisme, d’esprit est effacé pour ne garder que la forme. « Pourtant, Marilou Poncin met ici l’accent sur la dimension sentimentale, plutôt que sexuelle – elle a rencontré beaucoup de gens qui se considèrent en couple avec ces poupées », commente Bastien Forato. Enfin, l’ouvrage poursuit son avancée jusqu’à l’abstraction : dans le dernier chapitre, « Plastic love ». Ici, le corps est invisible. Les objets sont non anthropomorphes – ils ont remplacé la femme, ce sont avec eux que l’on assouvit des besoins sexuels, panse nos envies de tendresse. Aux images s’ajoutent une préface signée par Elora Weill-Engerer, historienne de l’art, ainsi qu’un entretien réalisé par la curatrice Flora Fettah, venant étoffer le propos de l’artiste visuelle.

Baigné dans des tons bleutés, violets, comme les halos d’une nuit hallucinatoire que d’étranges figures habiteraient, l’ouvrage de Collapse Books nous plonge dans un univers sensuel et futuriste où les technologies recouvrent la solitude, et les diktats esthétiques s’effacent, dans des traces gluantes faites de salive et de larme. Monographie ambitieuse, l’objet parvient à proposer une nouvelle narration labyrinthique au sein du corpus de Marilou Poncin, pour mieux nous aider à nous frayer un chemin dans son imaginaire débordant.

construction abstraite de Marilou Poncin
© Marilou Poncin / Collapse Books

cheveux colorés
© Marilou Poncin / Collapse Books
étoile de mer en céramique
© Marilou Poncin / Collapse Books
sourire à strass
© Marilou Poncin / Collapse Books

coeur en néon
© Marilou Poncin / Collapse Books

vue d'installation de Marilou Poncin
© Marilou Poncin / Collapse Books
vidéo de Marilou Poncin
© Marilou Poncin / Collapse Books

femme dans un lit
© Marilou Poncin / Collapse Books
Collapse Books
220 pages
39 €
À lire aussi
Contenu sensible
Sub : Jean-Christian Bourcart et Momo Okabe au cœur de la nouvelle collection Fisheye !
Ilmatar © Momo Okabe
Sub : Jean-Christian Bourcart et Momo Okabe au cœur de la nouvelle collection Fisheye !
Fisheye Editions lance, cette semaine, une nouvelle collection nommée Sub. Une collection d’ouvrages dédiée à des séries existantes…
03 juillet 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Corps poétiques, agressés ou transformés : nos coups de cœur photo du mois
© Ame Blary
Corps poétiques, agressés ou transformés : nos coups de cœur photo du mois
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont…
30 mai 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas

Explorez
Les images de la semaine du 10.02.25 au 16.02.25 : amour, divergences et expositions
© Dorian Prost
Les images de la semaine du 10.02.25 au 16.02.25 : amour, divergences et expositions
C’est l’heure du récap ! En cette semaine marquée par la Saint-Valentin, les pages de Fisheye célèbrent l’amour et vous font également...
16 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 03.02.25 au 09.02.25 : les dessous de la réalité
© Jack Latham
Les images de la semaine du 03.02.25 au 09.02.25 : les dessous de la réalité
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye donnent à voir les dessous de certaines réalités, qu’elles soient créatives...
09 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Metamorphosis de Hessam Yekta : le drap des lieux
© Hessam Yekta
Metamorphosis de Hessam Yekta : le drap des lieux
À la croisée de la photographie de mode et de l’abstrait, Hessam Yekta signe, avec la série Metamorphosis, une exploration de la...
07 février 2025   •  
Écrit par Hugo Mangin
Prix Polyptyque 2024 : célébration des expérimentations et du livre photo
© Marion Ellena. Scrolling (de la ventana), 2023.
Prix Polyptyque 2024 : célébration des expérimentations et du livre photo
La Galerie Sit Down à Paris accueille les quatre lauréat·es du Prix Polyptyque 2024 pour une exposition conjointe qui se tient jusqu’au...
05 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l’œil de Jana Sojka : nostalgie filante dans la nuit floue
© Jana Sojka
Dans l’œil de Jana Sojka : nostalgie filante dans la nuit floue
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Jana Sojka, photographe dont nous vous avions déjà présenté les collages. Pour Fisheye...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #532 : Sébastien François et Matthieu Baranger
© Sébastien François
Les coups de cœur #532 : Sébastien François et Matthieu Baranger
Sébastien François et Matthieu Baranger, nos coups de cœur de la semaine, ont fait de l’architecture urbaine la muse de leurs projets...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 10.02.25 au 16.02.25 : amour, divergences et expositions
© Dorian Prost
Les images de la semaine du 10.02.25 au 16.02.25 : amour, divergences et expositions
C’est l’heure du récap ! En cette semaine marquée par la Saint-Valentin, les pages de Fisheye célèbrent l’amour et vous font également...
16 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Tisser des liens, capter des mondes : le regard de Noémie de Bellaigue
© Noémie de Bellaigue
Tisser des liens, capter des mondes : le regard de Noémie de Bellaigue
Photographe et journaliste, Noémie de Bellaigue capture des récits intimes à travers ses images, tissant des liens avec celles et ceux...
15 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina