« Être trop proche de la réalité n’est pas quelque chose qui nous intéresse. »
À l’occasion de la sortie de leur dernier projet : Une Histoire parallèle, le duo Brodbeck & de Barbuat signe un livre mélangeant photographie et intelligence artificielle. Le but ? Retracer l’histoire de la photographie tout en questionnant les possibilités qu’offrent les nouveaux outils numériques. L’exposition se tiendra à la Galerie Papillon jusqu’au 21 décembre 2023 dans le cadre de Photodays.
Dans leur dernier projet : Les mille vies d’Iris, Simon Brodbeck et Lucie de Barbuat avaient utilisé le CGI – une technique issue du monde du cinéma – pour créer un personnage, une femme très proche de l’humain afin d’en faire une série photographique grâce à une bourse du CNAP (Centre National des Arts Plastiques) et du Jeu de Paume dans le cadre d’Image 3.0.
Pour ce nouveau travail, iels ont voulu explorer les possibilités liées à l’Intelligence artificielle (IA). Commencé fin 2021, Une Histoire parallèle est une œuvre qui leur aura pris deux ans de réflexion et de perfectionnement. « On a voulu reconstruire avec l’IA une histoire imaginaire de celle de la photographie. On s’est construit depuis 2022, une base de données retraçant les années 1850 à aujourd’hui. On s’est basé sur nos connaissances de nos écoles d’art et formations et sur des recherches en bibliothèque, ainsi que sur internet en allant chercher dans les magazines, etc. On a sélectionné 250 images au total et à partir de là on a essayé de reconstruire ces images avec ce principe de données textuelles que l’on donne à la machine qui le retranscrit en images. On a créé une sorte de dialogue avec la machine en reconstruisant une version de l’image », décrypte le binôme. Les deux artistes se sont toujours intéressé·es à l’évolution des technologies d’autant plus lorsque celle-ci est liée à la photo. Des plaques d’aluminium à l’arrivée de l’argentique, en passant par l’avènement du numérique ou l’arrivée des images de synthèse comme pour ici avec l’IA, iels conçoivent la photo comme un terrain d’expérimentation.
C’est aussi pour cela qu’iels ne s’arrêtent pas aux belles images. Leur but n’était pas de reproduire la photo parfaite, mais de mettre en lumière le cheminement de la machine. Laisser les défauts apparents fait donc aussi partie du processus. « C’est le dialogue que l’on trouve intéressant, plus même que le résultat immédiat. Le dialogue est complexe et aléatoire, c’est-à-dire qu’il y a des images qui vont très vite nous satisfaire et d’autres pas du tout, reconnait Simon Brodbeck. C’est un peu comme un troisième artiste qui rentre dans notre processus de création. Car il y a quand même toute une part que l’on ne peut pas contrôler avec l’IA. Il y a un facteur aléatoire qui nous a beaucoup intéressé·es. À l’époque, ce qui nous plaisait, c’est qu’il y avait encore beaucoup de défauts par rapport à aujourd’hui, beaucoup de choses que l’IA faisait mal, et on a embrassé cette dimension. On ne voulait pas faire du joli. On comprend le parallèle avec l’histoire de la photo et en même temps il y a quelque chose de dérangeant qui gêne le regard », conclut-il avant que Lucie de Barbuat précise que « pour le moment être trop proche de la réalité n’est pas quelque chose qui [les] intéresse ».
Explorer la photographie
La première rencontre du duo Brodbeck et de Barbuat avec une série d’images réalisée grâce à l‘IA s’est faite il y a quasiment deux ans, à une époque où la technologie n’était pas aussi présente qu’aujourd’hui. Une chose qui les a intrigué·es. Après des mois de réflexion à chercher comment exploiter ce nouvel outil, c’est tout naturellement qu’un projet en lien avec la photo est devenu évident. Leur condition ? Réaliser quelque chose de personnel, et donc lié à l’univers photographique. Et quoi de plus parlant que l’histoire de celle-ci ? « On adore ce médium, on ne peut pas faire plus actuel avec les réseaux sociaux, etc., mais c’est aussi un des médiums artistiques les plus jeunes avec le cinéma et en même temps c’est le plus figé sur lui-même. Chaque évolution est assez mal prise, ç’a été le cas avec le numérique. On a l’impression que c’est la fin à chaque fois. C’est plus complexe que cela. De notre point de vue, il y a quelque chose qui se développe et qui n’a pas du tout remplacé la photo, qui est à explorer et n’est pas encore régulé. Il faut juste le voir comme une évolution ».
C’est en reprenant des clichés qui ont marqué leur temps que Simon et Lucie ont basé leur travail. Avec des images connues du grand public ou seulement des personnes issues du monde de la photo, l’envie de toucher le plus grand nombre est bien présente. Mais c’est surtout l’idée d’étudier et comprendre le fonctionnement de l’IA qui les a intéressé·es. Pour construire leur projet Une Histoire parallèle, iels ont utilisé Midjourney . Cette dualité entre un retour historique sur la vie de la photographie et les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies dans ce monde, marquent le cœur de leur œuvre et engagent certaines problématiques. « En plus de ce côté historique, on aimait l’idée d’explorer le processus de la machine elle-même : comment elle allait fabriquer ces images, les prendre sur internet. Ce qui implique énormément de choses, notamment des réflexions sur le droit d’auteur, sur la manière dont les images sont conçues… Le clin d’œil à l‘histoire de la photo est intéressant, car beaucoup de gens vont reconnaitre certaines images et se demander ce qu’il en est. Ça souligne le processus de la machine », confie Simon Brodbeck. Les deux artistes avaient à cœur de laisser apparentes les traces du travail de la machine, de laisser les étapes du processus visibles, mais surtout, iels ont mis un point d’honneur à ce que l’aspect technique et visuel des images d’origines soit respecté. Pour Lucie de Barbuat cela a demandé un travail collaboratif avec la machine, comme iels l’appellent. « C’est assez délicat d’arriver à une image intéressante. Souvent cela propose des images lisses et autocensurées avec un visuel très publicitaire qu’il faut arriver à contourner. Essayer de travailler avec la machine pour s’en éloigner », analyse-t-elle.
Il leur a fallu travailler avec le logiciel afin de déterminer ses capacités et se nourrir de sa connaissance. Puis y rajouter leur touche personnelle afin de donner la version finale de ce projet. Malgré la polémique que leur travail peut déclencher sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le monde de la photo, ce n’est pas dans ce but-là que les deux artistes ont œuvré. Pour elleux, l’IA donnait beaucoup de sens à leur projet, « même si elle ne traite pas de l’histoire de la photo, elle est en relation avec l’histoire des images accessible et existante sur internet. Ce qui est un vrai parallèle. Ça donne un sens au projet. L’histoire de la photo et son évolution vont de pair, c’est quelque chose qui se retrouve dans tous nos travaux depuis le début, parfois en filigrane, mais on retrouve ce questionnement sur le médium de la photographie lui-même », conclut le duo.