Jusqu’au 26 septembre, le photographe sud-africain Pieter Hugo investit les murs du Palais de l’Archevêché à Arles. En cette semaine d’ouverture des Rencontres, l’exposition Être présent invite les franges de nos sociétés au cœur de la cité médiévale.
Édifice emblématique du paysage arlésien, le Palais de l’Archevêché s’impose comme l’un des lieux incontournables du festival international de la photographie. De sa façade blanche et sobre, il surplombe la place de la République ensoleillé. Cette année, après l’annulation de la dernière édition, le lieu accueille une rétrospective de Pieter Hugo : Être Présent. Pour celles et ceux qui cherchent, après un délaissement quasi total de la culture, le sentiment de se retrouver face à des tirages photographiques, les portraits de Pieter Hugo ne déçoivent pas. Ces derniers ornent les murs anciens, et introduisent furieusement de la vie. Car chaque impression, chaque image, présente une personne, qui contemple le regardeur et lui rappelle sa propre présence. Être présent se lit comme un manifeste de l’instant partagé, non pas tourné vers la crise que nous venons de passer, ou vers un avenir encore trop incertain, mais de celui qu’on vit ensemble maintenant – avec toutes nos différences.
À l’image de ces Rencontres d’Arles placées sous l’aura de la diversité, cette rétrospective de Pieter Hugo met à l’honneur celles et ceux vivant à la marge. Réalisée à partir d’images produites depuis le début des années 2000, Être présent met en scène plus de 100 portraits de personnes différentes, originales ou comme l’indique le photographe : « uniques ». Jeunes ou vieux, noirs ou blancs, ses sujets arborent fièrement leurs vêtements, tatouages, et cicatrices, et nous observent. Souvent curieux, parfois inquiet, ce regard omniprésent ne se montre jamais menaçant – il nous scrute sans ambiguïté et révèle celui qui le porte. Dans le silence de cette contemplation, où le regardeur devient regardé, le spectacle se dévoile et le spectateur se voit projeté sur les murs du Palais.
à g. « Alexandra », de Solus , London, 2020 ; à d. « Shaun Oliver », de Kin, Cape Town, 2011. Courtesy of the artist. © Pieter Hugo
Le cynisme disparaît
Rares sont les images où les enjeux se déroulant dans l’instant photographique – théorisés à travers l’histoire du 8e art – se présentent aussi subtilement, mais frontalement. Avec la neutralité de ses portraits, Pieter Hugo puise dans le regard de ses sujets pour figer toute la tension cristallisée à l’infime instant où il appuie sur le déclencheur. En résultent des fragments, à échelle humaine, qui illustrent avec légèreté tout le poids d’une vie à la marge. « Mon travail porte sur le fait d’être un étranger : j’ai l’impression d’habiter moi-même cet espace et d’adopter cette notion afin de m’engager avec les personnes que je photographie. Je commence presque toujours mon travail en me présentant : je regarde, et on me regarde en retour. Quand on crée un portrait, le cynisme disparaît pendant un bref instant. Il y a de la beauté à être tenu dans le regard de l’autre », raconte le photographe.
En abordant les lexiques de la criminologie, de la surveillance et des typologies, Pieter Hugo affirme s’insérer dans une tradition bien spécifique du portrait, tout en gardant au cœur un fort humanisme. Car c’est un élan vital d’aller vers l’autre, vers celle ou celui qui ne se retrouve pas dans nos codes sociaux, qui pousse l’artiste à montrer ces personnes. En exposant Être Présent, il fait un pas supplémentaire en introduisant ces marginaux en plein cœur de la cité arlésienne. Et pourtant, aucune dissonance ne transparaît entre les sujets présentés et l’élégante bâtisse médiévale… Une preuve certaine de l’engagement formel et humain de Pieter Hugo.
© Pieter Hugo