Ces photographes utilisent le sport pour aborder des sujets de société

28 août 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Ces photographes utilisent le sport pour aborder des sujets de société
© Felipe Jácome / Sveltana Onipko
©Théo Saffroy_REINES DU RING-fisheye
© Théo Saffroy / Courtesy of Point Éphémère

Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les thématiques abordées s’en trouve une qui s’ancre tout particulièrement dans l’actualité de cet été : le sport. Lumière aujourd’hui sur Nathalie Champagne, Théo Saffroy, Felipe Jácome et Nico Therin, quatre artistes qui font de ces disciplines physiques le point de départ de réflexions sur la société. 

Ce mercredi 28 août signe le retour d’une émulation, d’un enthousiasme qui se répand peu à peu dans les rues de la capitale. Aujourd’hui commencent les Jeux paralympiques de Paris 2024 et, tout comme les Jeux olympiques qui ont précédé, l’évènement est voulu populaire. Malgré quelques paradoxes dans la forme, il est vrai que celui-ci, à défaut de plaire à tout le monde, concerne tout un chacun, qui a souvent un avis bien tranché sur le sujet. En outre, les compétitions sportives, largement diffusées, constituent une ressource de pouvoir non négligeable pour les États. Un certain nombre de photographes a compris la portée du sport et a décidé d’aborder des problématiques actuelles par ce prisme. C’est notamment le cas de Nathalie Champagne, Théo Saffroy, Felipe Jácome et Nico Therin qui, dans des approches disparates, utilisent le patinage artistique, la lucha libre mexicaine ou encore la danse pour mettre des sujets de société en lumière.

Photographie de Nico Therin montrant une danseuse californienne
© Nico Therin
Photographie de Nathalie Champagne montrant une patineuse artistique
© Nathalie Champagne
© Nathalie Champagne

Des réalités qui dépassent le sport

Le sport, comme les projets photographiques qui gravitent autour, permet de dévoiler des destinées individuelles qui se sont épanouies grâce à lui. Dans Reines du ring, Théo Saffroy s’intéresse par exemple à la lucha libre mexicaine. Cette discipline, devenue extrêmement populaire au fil du temps, se démarque par son histoire engagée contre le sexisme. De fait, dans les années 1980, les premières lutteuses à s’illustrer dans cette pratique dénonçaient le machisme. « Avant d’être des luchadoras, ce sont des femmes qui ont des passés assez difficiles, souffrent d’anxiété, de dépression, ont vécu une maternité très jeune, des violences sexuelles, des agressions dans la rue, dans le bus… La lucha libre arrive comme une voie libératrice, comme une manière d’avoir une seconde identité », racontait le photojournaliste dans un épisode de Focus. Nico Therin s’inscrit dans une démarche similaire avec Divas of Compton. Ce projet suit un groupe de danseuses qui donne son nom à la série. Au sein de cette communauté, les membres, très soudées et d’origine afro-américaine pour la plupart, peuvent s’exprimer comme bon leur semble et se construire loin des stéréotypes qui règnent sur ce territoire californien.

D’autres séries prenant place dans le milieu sportif témoignent de réalités qui le dépassent pourtant. Dans Ludivine : Figures imposées, figures libres, Nathalie Champagne permet à son modèle, une patineuse artistique, de revenir sur l’agression sexuelle, perpétrée par son ex-entraîneur, dont elle a été victime. Si le crime a ici été puni par une peine de treize ans de prison, ce n’est pas toujours le cas et le tabou subsiste parfois. « L’histoire de Ludivine est, en effet, tristement courante dans le monde sportif. En France, un sportif ou une sportive sur sept sera victime de violences sexuelles avant ses 18 ans. Pour les athlètes de niveau international, le pourcentage passe à 30 %, nous expliquait la photographe. Ce travail n’est pas uniquement un acte de revendication ou de dénonciation, mais aussi un projet qui interroge différentes thématiques s’imbriquant les unes avec les autres. » Dans Unbroken, réalisé en collaboration avec la danseuse Svetlana Onipko, Felipe Jácome donne également à voir une forme de résilience. « Comme la plupart des gens, j’étais horrifié et furieux de l’injustice de la guerre, et en même temps ému et inspiré par la force et la résistance du peuple ukrainien. Je voulais créer une œuvre qui puisse parler de ce contraste », déclarait-il. 

©Théo Saffroy_REINES DU RING-fisheye
© Théo Saffroy / Courtesy of Point Éphémère
Photographie de Nico Therin montrant une jeune danseuse californienne
© Nico Therin
Photographie de Felipe Jácome et Sveltana Onipko montrant une ballerine
© Felipe Jácome / Sveltana Onipko

Des approches différentes selon les causes

Pour évoquer ces sujets, les photographes ont recours à plusieurs approches qui semblent d’ailleurs se rejoindre selon les causes mises en avant. Les clichés de Théo Saffroy et de Nico Therin s’ancrent ainsi dans le genre du documentaire. « Il y a onze féminicides par jour au Mexique, c’est un système assez machiste. Reines du ring, c’est aussi l’histoire de ces femmes qui mènent une lutte symbolique contre ce machisme sur le ring et qui parlent pour toutes les femmes mexicaines », affirmait le premier, qui dépeint les femmes dans des portraits bruts, sans fioritures. Le second immortalise également les corps en mouvement de ses modèles dans des nuances vives, optimistes et chaleureuses, qui vont de pair avec l’énergie dégagée. « Très rapidement, j’ai compris que les Divas n’étaient pas qu’une troupe de danse, mais plutôt une communauté, au sein de laquelle les jeunes filles se soutiennent, apprennent les unes des autres, travaillent dur et expriment leurs sentiments par la danse », confiait-il. 

Nathalie Champagne et Felipe Jácome misent plutôt sur l’abstraction. « Avant d’accepter ce projet et après son procès, Ludivine avait refusé de nombreuses sollicitations pour mettre en mots ou en images son histoire. Mon défi et souci principal ont alors été de respecter la confiance qu’elle m’avait accordée. Il s’agissait de montrer quelque chose de dur, complexe et douloureux avec subtilité et délicatesse sans tomber dans le sombre, le frontal ou le racoleur », précisait-elle. Ses compositions sont faites de cadrages serrés, de clairs-obscurs et de flous vaporeux qui traduisent aussi bien le mouvement que le trouble. Felipe Jácome a quant à lui imaginé un motif formé à partir de balles. « Après avoir pris les portraits, nous avons transféré les images sur des panneaux de douilles récupérées dans des stands de tir. Il a fallu plusieurs mois pour développer notre technique », expliquait-il. Après avoir mis en place plusieurs expérimentations, l’artiste a finalement décidé d’opter pour une impression UV qui permet de sécher l’encre sans avoir besoin d’aplanir les œuvres avec une résine époxy, qui ferait perdre leur matérialité et leur texture aux étuis. Le motif créé apparaît dès lors comme une grille qui emprisonne les danseuses prenant des poses de ballet classique. À travers la métonymie, il évoque de cette façon les conséquences de la guerre.

Quelles que soient les approches adoptées dans ces différents projets, le sport sert de porte d’entrée vers des problématiques sociales. Il attire l’œil de divers publics, déjà sensibles aux disciplines présentées, à la photographie ou au thème abordé, pour mieux s’effacer et laisser place au discours. Il convoque ainsi les foules, ouvre la parole et permet tout compte fait de susciter des réflexions chez celui ou celle qui regarde les œuvres.  

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