« Cette nature, sauvage, violente et belle me renvoyait à mes interrogations »

12 février 2019   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Cette nature, sauvage, violente et belle me renvoyait à mes interrogations »

Peu après la mort de son frère, la photographe française Margot Wallard a déménagé en Suède, dans la région du Värmland. Au cœur de la nature sauvage, elle a construit Natten, une série thérapeutique, portée par la douleur du deuil et l’envie d’aller de l’avant.

Fisheye : Pourquoi t’es-tu tournée vers la photographie ?

Margot Wallard : La photographie a toujours été présente dans ma famille. Mon grand-père était un passionné et mon père a toujours photographié – c’est d’ailleurs lui qui m’a donné mon premier boîtier à l’âge de 7 ans. À 15 ans, j’ai commencé à apprendre les techniques du labo noir et blanc. Je me voyais devenir photographer-reporter, mais après le bac j’ai rencontré une artiste photographe, Véronique Bourgoin, qui a bouleversé ma manière de photographier. Ma pratique est alors devenue mon mode d’expression, elle était obsessionnelle, vitale et je n’ai plus fait que ça. Aujourd’hui, je vis entre la France et la Suède, et j’anime un workshop, l’Atelier Smedsby, avec mon conjoint le photographe suédois JH Engström.

Comment procèdes-tu avec tes projets ?

J’ai une approche assez autobiographique. Si mes projets sont toujours liés à des événements de ma vie personnelle, mon objectif est de les ouvrir à des questionnements universels. Aussi, j’ai toujours eu besoin d’avoir un lien assez direct avec mes sujets. Ainsi, je me sens plus légitime.

Tu as changé ta manière de photographier, pour Natten. Pour quelle raison ?

Mes projets précédents étaient, pour la plupart, réalisés avec l’esthétisme du « snap shot ». Je photographiais avec un petit appareil photo que j’emportais partout. Une prise de vue rapide, assez réaliste. Après le décès de mon frère, j’étais dans une période de deuil, et je vivais dans un environnement géographique isolée – la région du Värmland, en Suède. Ces deux facteurs m’ont poussée à changer ma manière de photographier. J’ai ressenti le besoin de me poser, de ralentir. D’aller vers des techniques que je n’avais jamais explorées.

© Margot Wallard

En quoi cet événement tragique a-t-il influencé ton travail ?

Le décès de mon frère a été très violent – il se trouvait en état de mort cérébrale pendant un long mois, et tous les jours nous étions à ses côtés, à l’hôpital, et nous le regardions mourir. Je suis repartie dans le Värmland immédiatement après l’enterrement. Soudain, je me suis retrouvée dans un environnement étranger, bouleversée par des émotions contradictoires : devais-je aller de l’avant, ou me plonger dans ma tristesse ? Ces sentiments ont été le déclencheur du projet. Je savais que ce que je venais de vivre allait indéniablement influencer ce travail.

La nature est omniprésente, dans la série. Comment te l’es-tu appropriée ?

Elle est très présente là où je réside, en Suède. Quand j’ai déménagé là-bas, je faisais des allers-retours en France tous les deux mois, pour photographier mon frère. Je regardais cette nature sans grand intérêt. Mais suite à son décès, ces paysages sont devenus un exutoire. J’ai eu envie de m’y plonger, je les ai utilisés. Les photographier était un moyen de m’approprier cet environnement. J’ai passé beaucoup de temps à l’observer, le scruter. Cette nature sauvage, violente et belle me renvoyait à mes interrogations. Natten est donc aussi un hommage à la région du Värmland que j’ai appris à connaître et à aimer.

Pourquoi avoir intégré des autoportraits dans Natten ?

L’autoportrait est une discipline que je n’avais jamais exploré dans mes précédents projets, parce qu’elle ne me semblait pas pertinente. Mais cette fois-ci, j’ai eu envie d’y placer un personnage fantastique. Mon corps, je l’ai utilisé comme objet. C’était un moyen d’exprimer mes émotions dans un espace défini.

Perçois-tu la photographie comme une forme de thérapie ?

La photographie a des bénéfices thérapeutiques, oui. Dans Natten, j’ai étudié l’introspection. J’aime ce mode d’expression – plus onirique et métaphorique – car il n’encourage pas une approche « directe ». Cela correspond aux doutes qui m’habitent quand je crée. J’aime cette idée que l’image devient, pour moi, une forme de mémoire fantasmée et transformée.

Cependant, mon nouveau projet, dédié à l’Algérie, exprime davantage mon envie d’ouverture sur le monde extérieur ainsi qu’une grande curiosité pour l’autre. Il ne s’agit plus d’une thérapie ni d’une forme de nostalgie, bien que le point de départ de cette série soit lié à ma vie personnelle.

© Margot Wallard© Margot Wallard

© Margot Wallard

© Margot Wallard© Margot Wallard

© Margot Wallard© Margot Wallard

© Margot Wallard© Margot Wallard

© Margot Wallard

© Margot Wallard

Explorez
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et  Stéphanie Labé
Respirer © Jeanne-Lise Nédélec
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé
Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé, nos coups de cœur de la semaine, voient dans les paysages naturels un voyage introspectif, une...
01 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Keepers of the Ocean © Inuuteq Storch
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Photographe inuit originaire de Sisimiut, Inuuteq Storch déconstruit les récits figés sur le Groenland à travers une œuvre sensible et...
30 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
FLOW, le nouveau rendez-vous photographique en Occitanie
© Chiara Indelicato, L'archipel, Bourses Ronan Guillou, 2024
FLOW, le nouveau rendez-vous photographique en Occitanie
Du 20 septembre au 30 octobre 2025, The Eyes inaugure, en Occitanie, la première édition de FLOW, un parcours inédit consacré à la...
27 août 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Chiara Indelicato, voix de Stromboli
© Chiara Indelicato, Pelle di Lava
Chiara Indelicato, voix de Stromboli
Exposée à la galerie Anne Clergue, à Arles, jusqu’au 6 septembre 2025, Pelle di Lava, le livre de Chiara Indelicato paru cette année chez...
09 août 2025   •  
Écrit par Milena III
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Sandra Calligaro : à Visa pour l'image, les Afghanes sortent de l'ombre
Fahima (17 ans) révise dans le salon familial. Elle suit un cursus accessible en ligne sur son smartphone. Kaboul, Afghanistan, 24 janvier 2025. © Sandra Calligaro / item Lauréate 2024 du Prix Françoise Demulder
Sandra Calligaro : à Visa pour l’image, les Afghanes sortent de l’ombre
Pour la 37e édition du festival Visa pour l’Image à Perpignan qui se tient jusqu’au 14 septembre 2025, la photojournaliste Sandra...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d'images
© Jenny Bewer
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d’images
Dans son numéro #73, Fisheye sonde les représentations photographiques de l’amour à l’heure de la marchandisation de l’intime. À...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
Diverses espèces de requins, dont certaines sont menacées d'extinction, tandis que d'autres sont classées comme vulnérables, ont été ramenées à terre à l'aube par des pêcheurs commerciaux au port de Tanjung Luar, le lundi 9 juin 2025, à Lombok Est, en Indonésie. Tanjung Luar est l'un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d'où les ailerons de requins sont exportés vers d'autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitées par l'industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
RongRong & inri : « L'appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Personal Letters, Beijing 2000 No.1 © RongRong & inri
RongRong & inri : « L’appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Le couple d’artiste sino‑japonais RongRong & inri, fondateur du centre d’art photographique Three Shadows, ouvert en 2007 à Beijing...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger