Christelle Chabrier : le motif et l’émotion

24 octobre 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
Christelle Chabrier : le motif et l'émotion
© Christelle Chabrier

Dans Mirages, Christelle Chabrier superpose les souvenirs aux sensations. En transposant des matières textiles sur ses images, elle reconstitue sa mémoire familiale et celle des individus qu’elle photographie. Un travail où le motif est symbole d’une grande émotivité.

© Christelle Chabrier
© Christelle Chabrier

Originaire de Brive, en Corrèze, d’une mère institutrice et d’un père artisan tapissier, Christelle Chabrier aimait voir les heures défiler dans l’atelier de son père. « Il restaurait tous types de sièges, confectionnait matelas et sommiers, rideaux et coussins. Le bruit et la poussière de la cardeuse qui expulsait des flocons de laine, le cliquetis de la machine à coudre, le son du ciseau qui fendait le tissu… j’étais coutumière de chaque étape de fabrication. Je manipulais avec précaution ses carnets de nuanciers : des livres constitués d’échantillons de velours, de flanelle, de voilages… Fascinée par la richesse de textures et de couleurs qu’ils offraient », confie-t-elle. De cette enfance passée au contact de l’artisanat, une sensibilité artistique éclot. S’ensuivent alors des études en arts plastiques à Toulouse et en parallèle un apprentissage instinctif de la photographie. Des premiers travaux se réalisent, et dans l’ensemble une thématique émerge : c’est celle du rapport à l’ancien, à tout ce qui a trait à la famille, et à la mémoire qui en découle.

« C’est au cours d’un voyage au Maroc que j’ai pu faire le lien entre mon héritage familial et ma pratique de la photographie. À Cap Spartel, je pris sur le vif une jeune femme accoudée au balcon d’un phare, le regard tourné vers l’horizon. J’ai ressenti au moment où je capturais cette scène quelque chose d’incroyable. Une autre image se superposait à la scène : celle d’une photo où ma grand-mère se tenait devant une allée d’hortensias mauves de son jardin. Quand j’ai pris cette photo, je visualisais déjà la création finale que j’allais faire. Des motifs picturaux, floraux, ornementaux s’invitaient dans chaque prise de vue », raconte Christelle Chabrier.

© Christelle Chabrier
© Christelle Chabrier
© Christelle Chabrier
© Christelle Chabrier

© Christelle Chabrier
© Christelle Chabrier

Dans le périple, l’introspection

Un prise de conscience s’opère, à la fois photographique et émotionnel, et la guide vers une série intuitive. En parcourant les ruelles de Marrakech, elle chine dans le quotidien, à la recherche de scènes chaleureusement ordinaires, de trésors colorés : des artisans repeignant un mur, des amies réunies, des promeneur·ses solitaires… Puis viennent les rivages salés de Casablanca, la corniche, les visages, les robes et les épiphanies. De tous ces moments compilés, Mirages naît.

De retour en France, elle s’engage dans un autre périple, cette fois-ci artisanal, à la recherche de l’ancien pour composer de nouvelles histoires. Elle fouille dans les habits de ses ami·es, de ses parents, dans des boutiques de seconde main, découpe des formes dans des draps, des rideaux, des nappes… Elle replonge dans ses ressentis de l’enfance, s’émerveille à nouveau au touché des tissus, et confectionne à sa façon le décor de son voyage. Patiemment, et sélectionnant avec précaution les motifs à apposer sur ses images elle explore. Les strates se multiplient et se confondent pour forger le lien de son histoire familiale et des histoires universelles. « Je tisse d’une autre manière les rapports familiaux qui me sont chers. Sous mes yeux ébahis, la prise de vue d’origine se transforme soudain, se confond avec le textile sur lequel elle est projetée. Un procédé qui me permet d’exacerber la matière de la photographie », explique-t-elle.

En s’immergeant une dernière fois dans l’univers de la photographe, l’image liminaire du projet, celle de cette jeune femme accoudée au balcon d’un phare nous revient soudainement en tête. En composant avec cette inconnue, Christelle Chabrier a inventé une version de son histoire, en y insérant de la beauté et une poésie florale dans l’horizon…

© Christelle Chabrier
© Christelle Chabrier
© Christelle Chabrier
© Christelle Chabrier
© Christelle Chabrier
© Christelle Chabrier
Explorez
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
© Taras Bychko
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
Dans Where Paths Meet, Taras Bychko compose un patchwork d’instantanés et d’émotions pour définir les contours de l’émigration. Pour ce...
13 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Lee Miller, mélancolie débordante et chambres d'hôtel : dans la photothèque d'Éloïse Labarbe-Lafon
Diane et Luna, 2023 © Eloïse Labarbe-Lafon
Lee Miller, mélancolie débordante et chambres d’hôtel : dans la photothèque d’Éloïse Labarbe-Lafon
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
12 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Kianuë Tran Kiêu : éclats de tendresse et narratives queers
© Kianuë Tran Kiêu
Kianuë Tran Kiêu : éclats de tendresse et narratives queers
Kianuë Tran Kiêu fait de l’art un espace de connexion et de transmission où la vulnérabilité devient une force. Chaque projet est une...
24 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Saint-Valentin : les photographes de Fisheye montrent d’autres visions de l’amour
© Nick Prideaux
Saint-Valentin : les photographes de Fisheye montrent d’autres visions de l’amour
Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les thématiques...
14 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
L'IA au service de la photographie de mode : chronique d'un outil créatif
Venus in braces (牙套中的维纳斯) © Nemo Chen
L’IA au service de la photographie de mode : chronique d’un outil créatif
L’intelligence artificielle révolutionne l’industrie de la mode, et par extension nos habitudes de consommation des images. Les artistes...
À l'instant   •  
Écrit par Marie Baranger
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
© Taras Bychko
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
Dans Where Paths Meet, Taras Bychko compose un patchwork d’instantanés et d’émotions pour définir les contours de l’émigration. Pour ce...
13 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Alessia Glaviano, l’œil Nouvelle Vogue
Portrait d'Alessia Glaviano © Marco Glaviano
Alessia Glaviano, l’œil Nouvelle Vogue
Alors que la neuvième édition du PhotoVogue Festival vient de s’achever, Alessia Glaviano, directrice de l’événement, revient sur son...
13 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Lee Miller, mélancolie débordante et chambres d'hôtel : dans la photothèque d'Éloïse Labarbe-Lafon
Diane et Luna, 2023 © Eloïse Labarbe-Lafon
Lee Miller, mélancolie débordante et chambres d’hôtel : dans la photothèque d’Éloïse Labarbe-Lafon
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
12 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger