Dans Mirages, Christelle Chabrier superpose les souvenirs aux sensations. En transposant des matières textiles sur ses images, elle reconstitue sa mémoire familiale et celle des individus qu’elle photographie. Un travail où le motif est symbole d’une grande émotivité.
Originaire de Brive, en Corrèze, d’une mère institutrice et d’un père artisan tapissier, Christelle Chabrier aimait voir les heures défiler dans l’atelier de son père. « Il restaurait tous types de sièges, confectionnait matelas et sommiers, rideaux et coussins. Le bruit et la poussière de la cardeuse qui expulsait des flocons de laine, le cliquetis de la machine à coudre, le son du ciseau qui fendait le tissu… j’étais coutumière de chaque étape de fabrication. Je manipulais avec précaution ses carnets de nuanciers : des livres constitués d’échantillons de velours, de flanelle, de voilages… Fascinée par la richesse de textures et de couleurs qu’ils offraient », confie-t-elle. De cette enfance passée au contact de l’artisanat, une sensibilité artistique éclot. S’ensuivent alors des études en arts plastiques à Toulouse et en parallèle un apprentissage instinctif de la photographie. Des premiers travaux se réalisent, et dans l’ensemble une thématique émerge : c’est celle du rapport à l’ancien, à tout ce qui a trait à la famille, et à la mémoire qui en découle.
« C’est au cours d’un voyage au Maroc que j’ai pu faire le lien entre mon héritage familial et ma pratique de la photographie. À Cap Spartel, je pris sur le vif une jeune femme accoudée au balcon d’un phare, le regard tourné vers l’horizon. J’ai ressenti au moment où je capturais cette scène quelque chose d’incroyable. Une autre image se superposait à la scène : celle d’une photo où ma grand-mère se tenait devant une allée d’hortensias mauves de son jardin. Quand j’ai pris cette photo, je visualisais déjà la création finale que j’allais faire. Des motifs picturaux, floraux, ornementaux s’invitaient dans chaque prise de vue », raconte Christelle Chabrier.
Dans le périple, l’introspection
Un prise de conscience s’opère, à la fois photographique et émotionnel, et la guide vers une série intuitive. En parcourant les ruelles de Marrakech, elle chine dans le quotidien, à la recherche de scènes chaleureusement ordinaires, de trésors colorés : des artisans repeignant un mur, des amies réunies, des promeneur·ses solitaires… Puis viennent les rivages salés de Casablanca, la corniche, les visages, les robes et les épiphanies. De tous ces moments compilés, Mirages naît.
De retour en France, elle s’engage dans un autre périple, cette fois-ci artisanal, à la recherche de l’ancien pour composer de nouvelles histoires. Elle fouille dans les habits de ses ami·es, de ses parents, dans des boutiques de seconde main, découpe des formes dans des draps, des rideaux, des nappes… Elle replonge dans ses ressentis de l’enfance, s’émerveille à nouveau au touché des tissus, et confectionne à sa façon le décor de son voyage. Patiemment, et sélectionnant avec précaution les motifs à apposer sur ses images elle explore. Les strates se multiplient et se confondent pour forger le lien de son histoire familiale et des histoires universelles. « Je tisse d’une autre manière les rapports familiaux qui me sont chers. Sous mes yeux ébahis, la prise de vue d’origine se transforme soudain, se confond avec le textile sur lequel elle est projetée. Un procédé qui me permet d’exacerber la matière de la photographie », explique-t-elle.
En s’immergeant une dernière fois dans l’univers de la photographe, l’image liminaire du projet, celle de cette jeune femme accoudée au balcon d’un phare nous revient soudainement en tête. En composant avec cette inconnue, Christelle Chabrier a inventé une version de son histoire, en y insérant de la beauté et une poésie florale dans l’horizon…