Photographe noir américain, homosexuel, atteint du VIH, Clifford Prince King s’interroge dans Acts of service sur les langages physiques de l’amour et de la domination – une série de mises en scène aux couleurs chaudes, d’une poésie fraîche et burlesque.
Six actes, pour six formes et états de dévotion. Des hommes en train d’effectuer toute une série de tâches, de la toilette à l’alimentation, du bain au divertissement, au service d’un tiers. Comment travaille-t-on aujourd’hui au service des autres, lorsque l’on incarne dans son propres corps tout ce qui a été, au cours de la majeure partie de l’histoire, réduit à l’état de servilité ? « Je voulais me concentrer sur la façon qu’ont les hommes noirs de se montrer les uns pour les autres, mais aussi en tant que travailleurs du secteur des services. Hier comme aujourd’hui », déclare l’artiste. Clifford Prince King est depuis longtemps fasciné par diverses figures qui ont traversé l’histoire noire américaine, comme par exemple Alonzo Fields, majordome de la Maison Blanche pendant plus de vingt ans, sous les présidences de Hoover, Roosevelt, Truman et Eisenhower.
Clifford Prince King a de nombreuses choses à exprimer à travers sa pratique photographique, non seulement en tant qu’homme noir gay et séropositif – sa série Night Sweats capture d’ailleurs les débuts de sa vie avec la maladie –, mais aussi en tant que grand rêveur et narrateur sensible. L’intimité n’est pas seulement son sujet, mais fait aussi partie intégrante de son processus créatif. Car parmi ses modèles, on trouve autant ses amis, que ses anciens amants, par exemple. Sa problématique essentielle n’est donc pas seulement la visibilité des personnes marginales, mais aussi le fait de montrer qu’il y a de la valeur dans l’ambiguïté et de se pas de dévoiler complètement. Clifford Prince King interroge le plaisir et la douleur, tout comme le secret ou le fait de s’exposer.
Concilier soin de l’autre, vulnérabilité et responsabilité
« Les « actes de service » représentent les langages de l’amour. C’est-à-dire, ce que l’on fait pour prendre soin de son amant·e ou de son ami·e, physiquement. Prendre soin de quelqu’un d’autre d’une manière qui peut être perçue de façon explicite. Je pense qu’il est très beau de voir cela se produire en public, et que c’est formidable lorsque cela se produit également en privé », explique Clifford Prince King. Elle célèbre les formes traditionnelles de soins, et attire l’attention sur les dessous de l’intimité et de la vulnérabilité, de la responsabilité et de la révérence : en bref, elle interroge la problématique du care. Et montre comment celui-ci est bien souvent prodigué par celleux qui en ont le plus besoin.
Dans ces photographies cryptiques, dont on ne peut déterminer le temps ni le lieu, et qui pourraient avoir été capturées à une époque antérieure, règne une forme de naïveté enfantine. Ces mises en scène simples et sincères constituent presque un terrain de jeu, et problématisent en même temps avec acuité et pertinence des enjeux sociaux et politiques : Clifford Prince King joue avec les rapports de force, en les dénudant de leur violence. Le premier acte donne la vedette uniquement à celleux qui servent, honorant ainsi les générations précédentes qui ont rendu service à des personnes qui n’étaient, bien souvent, pas dignes de leurs soins. L’acte V, par exemple, représente avec malice la position privilégiée de celui ou celle qui sert les autres, qui peut s’immiscer dans votre intimité, voire devenir un·e voyeur·se. Mais au-delà de cela, Acts of service est une méditation sur la peau nue, que le regard de Clifford Prince King vient doucement effleurer – et existe-t-il une manière plus délicate de déclarer son désir de prendre soin de l’autre ?