Copyright Swap : Tamara Janes, sans feu ni droit

28 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Copyright Swap : Tamara Janes, sans feu ni droit
© Tamara Janes
© Tamara Janes
© Tamara Janes

Sous le charme de la collection d’images de la New York Public Library, Tamara Janes conçoit Copyright Swap comme une manière de rendre hommage à cette imposante archive. Un projet interrogeant la notion de droit d’auteur tout en repoussant les frontières du 8e art.

Installée sur l’iconique 5e Avenue de Manhattan depuis deux ans seulement, la New York Public Library voit, dès 1913, son cabinet des estampes submergé par un type de demande inconnu jusqu’alors : des artistes, agences de publicité, maisons d’édition et de couture convoitent les illustrations qui y sont référencées, tandis qu’un mode de communication et de diffusion inédit se met en place. Or, si les fonds de la bibliothèque regorgent de trésors, ceux-ci demeurent fragiles – incapables de résister à l’usage intensif que l’on attend d’eux. En 1915, pour répondre à ces sollicitations grandissantes, une collection iconographique, pensée pour convenir à cette nouvelle catégorie d’emprunteur·ses, voit le jour. À la fin de l’année, près de 18 000 visuels sont déjà prêts à circuler – des illustrations issues de livres et magazines. Aujourd’hui, la New York Public Library Picture Collection englobe environ 1,5 million d’éléments classés en 12 000 thématiques. Une mine d’or pour les créateurices en tous genres.

C’est au cœur de cette imposante archive que Tamara Janes a trouvé l’inspiration. Ancienne designer graphique, l’artiste visuelle s’est ensuite formée à la photographie à l’École d’art de Zurich. « Lorsque j’étais là-bas, je m’interrogeais sur la réappropriation d’images dans un monde qui en abrite déjà tellement. Mon projet de fin d’études portait d’ailleurs sur la recherche d’images inversée sur Google », se souvient-elle. Son bachelor en poche, elle se spécialise avec un master en beaux-arts, qui ajoute à son travail une dimension plasticienne. Durant un échange d’un semestre à l’École d’arts visuels de New York, sa professeure, Penelope Umbrico, lui fait découvrir l’incroyable collection. « C’était un court projet d’une semaine, mais j’y suis retournée toutes les semaines suivantes. L’endroit est génial : on peut parcourir ces images, qui sont simplement collées à du papier et placées dans des dossiers, et on a même le droit d’en sortir jusqu’à 60 par jour. L’archive n’est pas organisée, elle est tenue par les bibliothécaires. J’ai commencé à en emprunter régulièrement, et je possède maintenant une collection de 1 500 visuels », raconte-t-elle. Parmi eux, des photographies de Man Ray, William Eggleston, Joel Meyerowitz… mais aussi des anonymes. « On y trouve vraiment de tout : des images de vêtements catégorisées par année, des radiographies, des photos studio, tout comme des travaux autour de l’homosexualité… La collection est aussi ouverte qu’aléatoire », précise-t-elle. Immergée dans cet univers graphique, Tamara Janes tente alors d’imaginer un moyen de partager avec le public cette caverne aux merveilles, tout en n’enfreignant pas les droits d’auteur qui s’appliquent à chaque cliché.

© Tamara Janes
© Tamara Janes

© Tamara Janes
© Tamara Janes

Le point de bascule vers une nouvelle création

Ainsi naît Copyright Swap, un projet réalisé en collaboration avec une avocate. L’artiste expérimente des altérations visant à déformer une illustration au point qu’elle en devient une autre. « Je connaissais cette avocate du temps où j’habitais à Berne – elle était d’ailleurs cliente de l’entreprise pour laquelle je travaillais en tant que designer. Je savais donc que je pouvais lui faire confiance. On a mis au point un système de feux tricolores avec mes créations. Un rouge signifie que le copyright est actif, un orange est un entre- deux (j’aurai toujours besoin de demander l’autorisation à l’artiste pour les diffuser), et un vert certifie que le résultat est une œuvre inédite à part entière », explique-t-elle.

Débute alors un travail d’équilibriste : lorsque le feu vert s’allume, l’autrice revient pas à pas en arrière, jusqu’au point de bascule avec l’orange. Un processus lui permettant de repérer précisément quelle altération produit une « nouvelle création intellectuelle ». « Ce qui est complexe, c’est qu’il faut souvent effacer les éléments iconiques d’une composition pour qu’elle ne soit plus reconnaissable », ajoute-t-elle. Guidée par les commentaires de sa collaboratrice et vérifiant ses progrès à l’aide de la recherche d’images inversée, Tamara Janes érige patiemment un paysage visuel où les pixels se confondent, brouillent les visages, tordent les formes. Distendues, étirées, ses productions apposent un voile surréel sur l’archive, interrogeant ainsi notre imaginaire collectif comme notre rapport à la photographie. Définie par le commissaire d’exposition Lars Willumeit comme une « imagineer » [contraction d’« image » et d’« ingénieur » en anglais, ndlr], Tamara Janes multiplie les expériences et passe en relecture les données visuelles qu’elle déforme comme pour parvenir à bâtir, clic après clic et contre toute attente, une création dans la destruction.

© Tamara Janes

© Tamara Janes

© Tamara Janes
© Tamara Janes

À lire aussi
L’amour pixelisé de Sonia Hamza
L’amour pixelisé de Sonia Hamza
Sujets insolites ou tendances, faites un break avec notre curiosité. Dans Chant de laine, Sonia Hamza présente des portraits brodés de…
17 juin 2023   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Propagande en pixels
Propagande en pixels
Jusqu’au 6 mars, la galerie parisienne David Zwirner présente tableaux chinois de Thomas Ruff. En mélangeant techniques numériques et…
20 janvier 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
Du passé au présent : comment les photographes de Fisheye se réapproprient les images d’archives
Homme et chien avec un masque à gaz, source : Ullstein bild / Getty Images
Du passé au présent : comment les photographes de Fisheye se réapproprient les images d’archives
Enquête familiale, exploration d’un événement historique, temporalités confondues… Les artistes ne cessent de se plonger dans les images…
23 février 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine

Explorez
Beggar’s Honey : Jack Latham s’immisce dans le monde clandestin des fermes à clics
© Jack Latham
Beggar’s Honey : Jack Latham s’immisce dans le monde clandestin des fermes à clics
Depuis dix ans, Jack Latham mène des recherches sur la naissance des théories conspirationnistes et la manière dont ces récits sont...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #492 : battre le pavé
© Annissa Durar / Instagram
La sélection Instagram #492 : battre le pavé
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’emparent de la rue, l'arpentent, la figent, la saisissent. Détails chocs...
04 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l'œil des photographes qui racontent leurs images aux chics allures
© Guillaume Blot
Dans l’œil des photographes qui racontent leurs images aux chics allures
Fisheye se plaît à faire parler les photographes, à les inciter à dévoiler les secrets qui se cachent derrière leurs images. La rédaction...
03 février 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Podcast, mode et expérimentations : nos coups de cœur photo de janvier 2025
© Luma Koklova
Podcast, mode et expérimentations : nos coups de cœur photo de janvier 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
31 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Beggar’s Honey : Jack Latham s’immisce dans le monde clandestin des fermes à clics
© Jack Latham
Beggar’s Honey : Jack Latham s’immisce dans le monde clandestin des fermes à clics
Depuis dix ans, Jack Latham mène des recherches sur la naissance des théories conspirationnistes et la manière dont ces récits sont...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #492 : battre le pavé
© Annissa Durar / Instagram
La sélection Instagram #492 : battre le pavé
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’emparent de la rue, l'arpentent, la figent, la saisissent. Détails chocs...
04 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l'œil des photographes qui racontent leurs images aux chics allures
© Guillaume Blot
Dans l’œil des photographes qui racontent leurs images aux chics allures
Fisheye se plaît à faire parler les photographes, à les inciter à dévoiler les secrets qui se cachent derrière leurs images. La rédaction...
03 février 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #530 : Léna Mezlef et Diane Desclaux
© Diane Desclaux
Les coups de cœur #530 : Léna Mezlef et Diane Desclaux
Léna Mezlef et Diane Desclaux, nos coups de cœur de la semaine, nous emmènent en voyage. La première nous fait découvrir l’Amérique...
03 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet