En parallèle de ses articles sur la 56e édition des Rencontres d’Arles, qui se tient jusqu’au 5 octobre 2025, la rédaction de Fisheye vous partage ses coups de cœur du festival. Entre mémoire, dissidence et magie, voici cinq expositions à ne pas manquer !
Père : Diana Markosian
Si le monde s’affaire à Monoprix, dans l’intimité du premier étage, le calme règne. Le brouhaha du dehors devient sourd comme pour laisser place à nos pensées, à l’expression de nos innombrables questionnements. Dans la pénombre, Diana Markosian y déploie Père, un projet qui s’inscrit dans le prolongement de Santa Barbara (2020), qui racontait comment une nuit a transformé le cours de son existence. Sans plus de détails, sa mère l’a réveillée pour lui annoncer qu’elles partaient en voyage. L’enfant, alors âgée de 7 ans, ne savait pas qu’il s’agissait d’une fuite sans retour, que son père resterait en Russie et qu’il passerait les prochaines années à enquêter sur sa disparition. L’histoire se révèle digne d’un roman ou d’un film, et la suite, dont témoigne l’exposition, est d’autant plus poignante. Quinze années après son départ précipité vers les États-Unis, l’artiste a retrouvé son père et a décidé de figer ces instants pour qu’ils ne lui échappent plus. Sur les cimaises se découvrent des images documentaires auxquelles s’ajoutent de nombreuses archives. Le papier peint de l’appartement ou encore une peinture à l’huile signée de son grand-père habillent l’espace. Une certaine familiarité se recompose à mesure qu’ils réapprennent à se connaître. Marqué par le vide laissé par une absence réciproque, le parcours s’avère complexe. L’immersion est telle que le public peut également participer en livrant son propre témoignage. Une table, prévue à cet effet, vous permettra ainsi d’écrire une lettre à un proche devenu étranger.
Apolline Coëffet
Manifeste primitif : Augustin Rebetez
Un feu de cheminée en néon inonde la pièce d’un rouge sanglant. Nous nous apprêtons à pénétrer dans un monde où les tapis, les mots, les sculptures, les images fixes, comme animées, nous plongent dans un malaise jouissif. L’installation reflète la pratique engagée et totale d’Augustin Rebetez, artiste suisse installé à Mervelier. Révélant chimères, visages dissidents, mosaïque de chats dimorphes, Augustin Rebetez signe, avec Manifeste primitif, une œuvre multiforme provenant directement de ses tripes qui ont la faculté de s’étendre à l’infini. « Nous sommes des fantômes qui tentons de devenir visibles. Nous croyons aux ombres et aux chuchotements. Nous travaillons pour la nuit », écrit-il dans son manifeste accroché dans l’espace. Ces fantômes voyagent dans les pièces de l’exposition et traversent chaque visiteur·ses, diffusant un message aussi poignant qu’ensorcelant. Avec cette anarchie visuelle, Augustin Rebetez compose des rites et des légendes auxquelles s’accrocher.
Marie Baranger
Construction déconstruction reconstruction
Cet été, la Mécanique générale propose des rétrospectives marquantes. Au sein du même bâtiment se trouve notamment Yves Saint Laurent et la photographie et Construction déconstruction reconstruction. Comme le prévoit son titre, cette dernière exposition s’articule en trois axes. Il s’agit de ceux qui ont régi la photographie moderniste brésilienne entre 1939 et 1964. Sur les cimaises se découvrent, plus particulièrement, les productions du Foto Cine Clube Bandeirante (FCCB) de São Paulo. Si ce club rassemblait exclusivement des amateurs, ceux-ci se sont adonnés à des expérimentations qui ont révolutionné les pratiques et favorisé l’institutionnalisation de la discipline artistique. À l’image, les lignes sont nettes, la géométrie est parfaite. Les monochromes soulignent les détails architecturaux de la ville. Le flou traduit la vitesse des voitures filant sur les boulevards tandis que les êtres surgissent du paysage telles des ombres élégantes. Minimalistes et parfois même abstraites, ces compositions séduisent le regard autant qu’elles nous dévoilent certaines réalités et préoccupations de cette époque.
Sortilèges
Dans les murs de pierres de la fondation Manuel Rivera-Ortiz s’est installée une histoire se trouvant à la frontière floue du réel et de la fiction. Elle se compose de rituels, de mythes, de légendes transmises par la voix, par les mots, par les griffures d’une plume sur un carnet de cuir, par des images qui défient les perceptions. À travers les pièces, Maja Daniel redessine le destin de Gertrud, jeune fille accusée de sorcellerie en 1667 à Älvdalen, en Suède. Joan Alvado se laisse porter par le rythme des croyances qui s’épanouissent au cœur de la montagne de l’Alto Minho, au Portugal. Les peuples anciens de l’île de Formose tentent de faire vivre leurs traditions face à l’urbanisation tentaculaire qui s’y déploie. Les herbes et la magie embaument le travail de Silvia Prió qui saisit avec poésie des sorcières gitanes et leurs pratiques. S’emparant du terrible Marteau des Sorcières (Malleus Maleficarum), écrit par l’inquisiteur alsacien Henri Institoris, Virginie Rebetez offre une nouvelle lecture de l’histoire en invoquant Claude Berthier, brûlé au bûcher en 1628 à Fribourg, en Suisse. Les artistes de Fotohaus Arles 2025 révèlent le merveilleux dans la guérison, le rôle des sorcières modernes, les liens amoureux, les identités marginalisées et l’écologie. Dans cet écrin monumental, les sortilèges réenchantent notre monde contemporain atrophié par le capitalisme et la rationalité, regardant autant dans le passé, dans le présent que vers l’avenir.
Marie Baranger
Chambre 207 : Jean-Michel André
Il faut monter quelques marches pour découvrir l’exposition de Jean-Michel André à Croisière, à Arles. Et peut-être est-ce là tout le sens de cette installation : prendre de la hauteur pour mieux plonger en soi. Dans l’espace aux murs épais de pierre, baignées d’une lumière douce, ses images sont suspendues comme des fragments de mémoire en mouvement. Chambre 207 est un geste rare. Un livre, une enquête intime, une tentative de réparation. Sur les murs, on découvre des photographies d’hôtels, de routes, de lieux traversés. Ce sont des archives. C’est l’histoire de Jean-Michel André et de son père, assassiné avec six autres personnes en 1983 à Avignon. Cette exposition s’impose avec pudeur. Et pourtant, quelque chose se passe. Derrière ces images fixes, on croit voir le flottement d’un rideau, entendre un son lointain. Ce ne sont que des photographies, mais elles font ressurgir une mémoire vive, presque palpable. Tout semble encore en mouvement. L’ensemble est fluide. Pensé comme un chemin dans la mémoire. On s’attarde. On lit. On comprend que l’image ne suffit pas – et que c’est justement ce manque que l’artiste tente de faire parler. Il ne s’agit pas ici d’une reconstitution spectaculaire, mais d’une lente remontée vers la surface.
L’artiste était là pour la semaine d’ouverture. Présent, discret, ouvert. Il partage, il écoute. L’exposition est visible jusqu’au 5 octobre. Elle ne cherche pas à convaincre. Elle propose un temps d’arrêt. À l’écart du tumulte, Chambre 207 offre un moment suspendu. Et rappelle, sans emphase, qu’il est parfois nécessaire de faire face – non pour comprendre, mais simplement pour continuer.
Fabrice Laroche