Julie Brochard et Anna Prudhomme, nos coups de cœur de la semaine, ont puisé l’inspiration dans la maison de leurs grands-parents. La première a recours à l’esthétique du fragment pour se faire une place dans un espace de transmission. La seconde utilise, quant à elle, l’autoportrait pour interroger les représentations de la mort féminine.
Julie Brochard
C’est après des études en sociologie que Julie Brochard, « cadette d’une famille dense, festive et haute en couleur », se tourne vers le monde de l’image. « Ce qui me fascine, avec la photographie, c’est qu’elle peut enregistrer le réel tout en permettant de saisir ce qui nous échappe, ce que l’on ne peut ou ne veut pas toujours voir, explique-t-elle. Je dirais que mon approche se situe à cet endroit précis : entre l’essentiel, proche du témoignage, et l’insaisissable, presque mystique. » La série que nous vous présentons aujourd’hui s’inscrit dans cet interstice. Alors qu’elle se rendait chez ses grands-parents, une pensée la frappe : « Je me rends compte que je ne connais pas grand-chose d’eux, si ce n’est leur maison, et j’observe avec enthousiasme qu’elle est restée intacte à mes souvenirs. Mêmes pièces, même décor, mêmes objets, mêmes draps. J’éprouve une certaine satisfaction et à la fois un vide à l’idée de perdre cette maison, ce qui nous relie. » À travers ses images, réalisées en couleur et au flash, l’artiste donne à voir des fragments d’émotions, de réminiscences et de portraits qui lui permettent de se faire une place au sein de cet espace de transmission. « Déambuler dans cette maison, c’est déambuler dans une mémoire collective où se croisent plusieurs vécus. Tout n’est pas toujours joli : il y a la tendresse et l’attachement, mais aussi une certaine dureté, un héritage rural marqué par des hiérarchies et des silences. Mon projet cherche à rendre compte de cette complexité », assure-t-elle.
Anna Prudhomme
« Le premier chapitre, ouvert à l’été 2024, a pris place là où mes propres fantômes résident : dans la maison de mes grands-parents, celle de ma grand-mère, décédée quelques mois avant ma naissance. J’avais l’envie de faire des autoportraits dans cet endroit où la nature est sublime. Très vite, je me suis rendu compte que mon personnage ne pouvait être que pieds nus. Je me suis demandé pourquoi », explique Anna Prudhomme, qui signe Fatigué de nature, le diable est trop exigeant. À travers cette série en noir et blanc, réalisée au kallitype – une technique d’impression ancienne où une solution au nitrate d’argent réagit à la lumière UV –, l’artiste étudie ainsi l’esthétisation de la mort féminine par le regard masculin. Afin de déconstruire ces représentations, elle incarne des « revenantes et autres figures languissantes ou endormies ». « J’ai constaté que, dans l’imaginaire commun, les figures fantomatiques étaient souvent féminines : mariées en robe de vengeresse ou fillettes en chemise de nuit translucide, souligne-t-elle. Je me suis demandé pourquoi celle qui ne peut ni sombrer ni se décomposer, personnage tourmenté et qui tourmente, était essentiellement une femme. » Au cours de sa réflexion, elle songe notamment à des références mythiques, littéraires ou cinématographiques comme Eurydice, Ophélie, la Belle au bois dormant, Emma Bovary, Anna Karénine, Marion Crane dans Psychose et Laura Palmer dans Twin Peaks. « Cette iconographie a transformé le cadavre en objet de contemplation, de spectacle esthétique, qui révèle en fait une réalité sombre : une culture qui a banalisé la violence en sublimant l’image de la victime… », conclut-elle.