Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme

Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
© Anna Prudhomme
Autoportrait dans le reflet d'une porte
© Julie Brochard

Julie Brochard et Anna Prudhomme, nos coups de cœur de la semaine, ont puisé l’inspiration dans la maison de leurs grands-parents. La première a recours à l’esthétique du fragment pour se faire une place dans un espace de transmission. La seconde utilise, quant à elle, l’autoportrait pour interroger les représentations de la mort féminine.

Julie Brochard

C’est après des études en sociologie que Julie Brochard, « cadette d’une famille dense, festive et haute en couleur », se tourne vers le monde de l’image. « Ce qui me fascine, avec la photographie, c’est qu’elle peut enregistrer le réel tout en permettant de saisir ce qui nous échappe, ce que l’on ne peut ou ne veut pas toujours voir, explique-t-elle. Je dirais que mon approche se situe à cet endroit précis : entre l’essentiel, proche du témoignage, et l’insaisissable, presque mystique. » La série que nous vous présentons aujourd’hui s’inscrit dans cet interstice. Alors qu’elle se rendait chez ses grands-parents, une pensée la frappe : « Je me rends compte que je ne connais pas grand-chose d’eux, si ce n’est leur maison, et j’observe avec enthousiasme qu’elle est restée intacte à mes souvenirs. Mêmes pièces, même décor, mêmes objets, mêmes draps. J’éprouve une certaine satisfaction et à la fois un vide à l’idée de perdre cette maison, ce qui nous relie. » À travers ses images, réalisées en couleur et au flash, l’artiste donne à voir des fragments d’émotions, de réminiscences et de portraits qui lui permettent de se faire une place au sein de cet espace de transmission. « Déambuler dans cette maison, c’est déambuler dans une mémoire collective où se croisent plusieurs vécus. Tout n’est pas toujours joli : il y a la tendresse et l’attachement, mais aussi une certaine dureté, un héritage rural marqué par des hiérarchies et des silences. Mon projet cherche à rendre compte de cette complexité », assure-t-elle.

Une photo de mariage d'époque
© Julie Brochard
Une maison nantaise dans une zone pavillonnaire
© Julie Brochard
Une table de salle à manger avec deux chaises en bois
© Julie Brochard
Gros plan, vu de haut, sur une jambe en mouvement
© Julie Brochard
Un bureau en bois poussiéreux sur lequel est posé une lampe, un torchon, une pince à linge et une Tour Eiffel
© Julie Brochard
Une femme, la tête appuyée sur son genou, est assise sur un rocher en bord de mer
© Anna Prudhomme

Anna Prudhomme

« Le premier chapitre, ouvert à l’été 2024, a pris place là où mes propres fantômes résident : dans la maison de mes grands-parents, celle de ma grand-mère, décédée quelques mois avant ma naissance. J’avais l’envie de faire des autoportraits dans cet endroit où la nature est sublime. Très vite, je me suis rendu compte que mon personnage ne pouvait être que pieds nus. Je me suis demandé pourquoi », explique Anna Prudhomme, qui signe Fatigué de nature, le diable est trop exigeant. À travers cette série en noir et blanc, réalisée au kallitype – une technique d’impression ancienne où une solution au nitrate d’argent réagit à la lumière UV –, l’artiste étudie ainsi l’esthétisation de la mort féminine par le regard masculin. Afin de déconstruire ces représentations, elle incarne des « revenantes et autres figures languissantes ou endormies »« J’ai constaté que, dans l’imaginaire commun, les figures fantomatiques étaient souvent féminines : mariées en robe de vengeresse ou fillettes en chemise de nuit translucide, souligne-t-elle. Je me suis demandé pourquoi celle qui ne peut ni sombrer ni se décomposer, personnage tourmenté et qui tourmente, était essentiellement une femme. » Au cours de sa réflexion, elle songe notamment à des références mythiques, littéraires ou cinématographiques comme Eurydice, Ophélie, la Belle au bois dormant, Emma Bovary, Anna Karénine, Marion Crane dans Psychose et Laura Palmer dans Twin Peaks« Cette iconographie a transformé le cadavre en objet de contemplation, de spectacle esthétique, qui révèle en fait une réalité sombre : une culture qui a banalisé la violence en sublimant l’image de la victime… », conclut-elle.

Une femme est agenouillée près d'un lampadaire
© Anna Prudhomme
Dans une cage d'escalier, une femme lève la tête
© Anna Prudhomme
Une femme vêtue de blanc se cache derrière une croix en pierre
© Anna Prudhomme
Une femme allongée sur le sol d'un hall
© Anna Prudhomme
À lire aussi
Le coup de cœur #560 : Nikita Shchukin
© Nikita Shchukin
Le coup de cœur #560 : Nikita Shchukin
Nikita Shchukin, le coup de cœur de la semaine, saisit des corps délicats. Dans une quête d’expérimentation, il l’aborde à travers divers…
29 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #559 : Danae Charalabidou et Frédérique Gélinas
Living In The Oblivion Of Our Transformations © Danae Charalabidou
Les coups de cœur #559 : Danae Charalabidou et Frédérique Gélinas
Danae Charalabidou et Frédérique Gélinas, nos coups de cœur de la semaine, s’intéressent aux dynamiques sociales et politiques qui…
22 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Explorez
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
© Nick Prideaux
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À...
04 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Contenu sensible
Yushi Li : Boys, Boys, Boys
My Tinder boys © Yushi Li
Yushi Li : Boys, Boys, Boys
Sur Tinder, l'artiste chinoise Yushi Li, installée à Londres, sélectionne des amants qu'elle soumet à son regard féminin. Elle questionne...
02 octobre 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei
La sélection Instagram #526 : ces liens qui nous attachent
© Serena Radicioli / Instagram
La sélection Instagram #526 : ces liens qui nous attachent
On dit de l’être humain qu’il est un animal social. Si la famille, les amitiés et les amours peuvent venir satisfaire ce besoin de liens...
30 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Le coup de cœur #560 : Nikita Shchukin
© Nikita Shchukin
Le coup de cœur #560 : Nikita Shchukin
Nikita Shchukin, le coup de cœur de la semaine, saisit des corps délicats. Dans une quête d’expérimentation, il l’aborde à travers divers...
29 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
© Anna Prudhomme
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
Julie Brochard et Anna Prudhomme, nos coups de cœur de la semaine, ont puisé l’inspiration dans la maison de leurs grands-parents. La...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye vous parlent de certaines des expositions du moment et de sujets qui...
05 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
© Nick Prideaux
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À...
04 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
La première photographie qui t’a marquée et pourquoi ? © Jenny Bewer
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet