Photographie post-mortem : pont sensible entre vivant·es et défunt·es

06 mars 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
Photographie post-mortem : pont sensible entre vivant·es et défunt·es
© Hervé Bohnert. Exposition Les Immortels à la librairie Alain Brieux, photographe non identifié, sans titre, vers 1860.
Photographie post-mortem d'une femme allongée sur son lit de mort
© Hervé Bohnert. Exposition Les Immortels à la librairie Alain Brieux, photographe non identifié, sans titre, vers 1930.

Le livre Posthume rassemble une centaine de clichés de défunt·es et d’objets funéraires issus de la collection de l’artiste Hervé Bohnert. En parallèle, l’exposition Les Immortels : photographies de l’après-vie (1850-1950), présentée en novembre dernier à la librairie Alain Brieux, à Paris, a elle aussi exploré cette pratique méconnue mais fascinante : la photographie post-mortem. Des projets qui interrogent notre rapport à la mort et à sa représentation visuelle à travers les époques.

Couverts de poussière, abandonnés dans des coffres, mis au rebut dans des brocantes ou enfouis sous des piles d’images apparaissent parfois, comme des spectres, les portraits d’êtres disparus. Si, dans les albums de famille contemporains, les clichés de naissances, d’enfance, de mariages ou d’instants heureux sont bien rangés, les photographies de mort·es semblent s’être volatilisées, laissant place au silence ou à l’oubli. Dans Posthume, une partie de ces images refait surface. Avec plus d’une centaine de photographies de France et du monde entier, ce livre témoigne d’une pratique qui fut ordinaire entre 1850 et 1950, avant de sombrer dans le néant. « Bien qu’elle puisse aujourd’hui sembler incongrue pour certain·es, elle était à l’époque une manière essentielle de conserver une trace des disparu·es », explique Philippe Baudouin, auteur de l’ouvrage et philosophe de l’histoire des techniques et des médias. En effet, photographier la mort a longtemps été une façon de rendre un hommage appuyé à la vie.

Photographie post-mortem d'une femme sur son lit
© Hervé Bohnert. Exposition Les Immortels à la librairie Alain Brieux, photographe non identifié, sans titre, vers 1930.
Photographie post-mortem, d'un homme dans son cercueil entouré de sa famille
© Hervé Bohnert. Exposition Les Immortels à la librairie Alain Brieux, photographe non identifié, sans titre, vers 1930.

Le tabou du 20e siècle

La photographie post-mortem, ou « photographie de l’après-vie » comme l’a baptisée l’auteur, est née au milieu du 19e siècle. L’image était alors rare et précieuse et ces portraits constituaient souvent la seule trace visuelle d’un·e défunt·e. La photographie rythmait les étapes majeures de l’existence : baptêmes, mariages et enfin décès. Bien que la pratique ait connu un essor notable dans tous les milieux – populaires, aristocrates ou auprès des notables, y compris des littéraires (on pense à l’image de Victor Hugo sur son lit de mort prise par Nadar en 1885) –, elle a peu à peu été exclue. Cette ostracisation s’explique en partie par la médicalisation de la mort et son invisibilisation croissante dans nos sociétés occidentales. Philippe Baudouin cite Geoffrey Gorer, anthropologue, qui explique dans Pornographie de la mort ce basculement culturel : « Au 20 e siècle, la mort est devenue un tabou remplaçant celui de la sexualité qui prévalait au 19e siècle. » Aujourd’hui, la représentation du trépas suscite une curiosité grandissante. Séries TV du genre true crime, récits de faits divers, enquêtes criminelles télévisées : autant de formats qui témoignent d’un regain d’intérêt pour l’image de la mort. Selon Philippe Baudouin, ce phénomène révèle une fascination humaine pour l’irreprésentable, une sorte d’attirance morbide qui réside dans la tension entre attraction et répulsion. « La psychanalyste Julia Kristeva décrit l’abject comme ce qui nous attire et nous révulse, poursuit-il. Ce paradoxe est au cœur de notre rapport à ces images. » Cependant, le philosophe nuance : les photographies post-mortem ne s’inscrivent pas dans cette logique. Elles n’étaient pas conçues pour choquer ou fasciner, mais bel et bien pour préserver la mémoire et établir un « ultime pont entre vivant·es et défunt·es ».

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #69.

À lire aussi
Fisheye #69 : éveiller les soupçons
© Mark Mahaney
Fisheye #69 : éveiller les soupçons
En ce début d’année, Fisheye éveille la curiosité qui sommeille en nous en consacrant son premier numéro de 2025 à une thématique…
08 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Lawrence Sumulong : histoire de la violence
Manila Gothic © Lawrence Sumulong
Lawrence Sumulong : histoire de la violence
Avec une caméra médico-légale et des filtres UV et infrarouges, le photographe américano-philippin Lawrence Sumulong révèle la violence…
27 février 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
Explorez
Les coups de cœur #548 : Konrad Hellfeuer et Lucie Boucher
Diversum © Konrad Hellfeuer
Les coups de cœur #548 : Konrad Hellfeuer et Lucie Boucher
Konrad Hellfeuer et Lucie Boucher, nos coups de cœur de la semaine, invitent à ralentir, observer et contempler. Interrogeant les thèmes...
23 juin 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 16 juin 2025 : expositions, mode et esthétique variées
Entrelacs © Manon Bailo
Les images de la semaine du 16 juin 2025 : expositions, mode et esthétique variées
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye ont été façonnées par des expositions en cours ou à venir, la remise du prix...
22 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Bouche : l'épiderme selon Lucile Boiron
Bouche © Lucile Boiron
Bouche : l’épiderme selon Lucile Boiron
Avec sa série Bouche, Lucile Boiron, formée à l'École nationale supérieure Louis-Lumière, s'intéresse de près à la peau, aux fluides et...
19 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #511 : Eh bien dansez maintenant !
© Ethel Grévoul / Instagram
La sélection Instagram #511 : Eh bien dansez maintenant !
À l’approche de la fête de la musique, les corps s’échauffent, les instruments sortent des étuis. Les photographes de notre...
17 juin 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
La FUJIKINA Arles, quand l'art rencontre la technique
© Gregory Halpern / Magnum Photo
La FUJIKINA Arles, quand l’art rencontre la technique
Du 8 au 12 juillet 2025, la FUJIKINA, manifestation mondiale autour de la culture photographique créée par Fujifilm, revient pour une 2e...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La sélection Instagram #512 : amour censure, amour sincère
© Aniela Kurkiewicz / Instagram
La sélection Instagram #512 : amour censure, amour sincère
« Il n’y pas d’amour censure, il n’y a que d’l’amour sincère », chante Hoshi. Peut-être ces paroles rythmeront-elles la marche des...
24 juin 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Marie-Laure de Decker à la MEP : le regard sensible d’une photojournaliste
Valéry Giscard d’Estaing devant sa télévision, le soir de son élection comme président de la République française, Paris, 19 mai 1974 © Marie-Laure de Decker
Marie-Laure de Decker à la MEP : le regard sensible d’une photojournaliste
Jusqu’au 28 septembre 2025, l’œuvre de Marie-Laure de Decker s’expose à la Maison européenne de la photographie. Au fil de sa carrière...
23 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #548 : Konrad Hellfeuer et Lucie Boucher
Diversum © Konrad Hellfeuer
Les coups de cœur #548 : Konrad Hellfeuer et Lucie Boucher
Konrad Hellfeuer et Lucie Boucher, nos coups de cœur de la semaine, invitent à ralentir, observer et contempler. Interrogeant les thèmes...
23 juin 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot