Lauréate de la Carte Blanche Étudiants à Paris Photo en 2018, Kata Geibl, photographe installée à Budapest, s’intéresse à la science et à l’Homme. Sa série Sisyphus explore ces deux thèmes avec originalité. Entretien.
Fisheye : Tu nous racontes ton parcours photographique ?
Kata Geibl : Lorsque j’ai eu cinq ans, mes parents m’ont offert un boîtier pour Pâques. J’ai ainsi fait mes premiers pas en photographie. Je me souviens emporter partout avec moi cet argentique 35 mm et prendre des instantanés. Plus tard, j’ai découvert que la photo ne se limite pas à la rue. On peut construire des univers, raconter des histoires. Les récits ne doivent pas nécessairement être réalistes. J’ai alors commencé à penser en séries, afin d’écrire mes propres fictions.
Quels thèmes t’inspirent particulièrement, et comment les travailles-tu ?
Mon travail se porte sur l’humanité, la mémoire collective, et le rôle ambigu du médium photographique. Mon approche change en fonction de chaque projet. J’essaie donc d’avoir l’esprit ouvert, d’être flexible.
Si la photographie n’est pas forcément le médium parfait pour traiter de tels sujets, elle reste néanmoins fascinante. Le boîtier garde en mémoire ce qui se trouve devant l’objectif, même lorsque nous, nous l’oublions.
Des thèmes que l’on retrouve dans Sisyphus ?
Oui. Au cœur de la série se trouve la foi de l’humanité en la science. Depuis le début de leurs histoires, la photo et le progrès scientifique ont toujours été liés. L’appareil photo voit tout, intercepte même ce que l’œil humain ne remarque pas. Ces clichés sont des fragments de temps, la preuve qu’à un certain moment, quelque chose a eu lieu. Nous pouvons observer des univers, des étoiles, des éléments microscopiques, même des explosions de bombes atomiques, tout en restant à distance, en sécurité. Cette idée a été mon point de départ pour Sisyphus. Créer mon propre laboratoire, une fine frontière entre la réalité et la fiction.
Pourquoi mélanger ces deux éléments ?
J’essaie toujours d’interroger notre réalité. Je crois que même la photographie documentaire peut être fictionnelle, puisque la réalité peut être interprétée de mille façons différentes.
Dans Sisyphus, cette oscillation revient de temps à autre. La photographie est-elle une preuve historique ? Ou le médium nous trompe-t-il trop souvent ?
En quoi le mythe de Sisyphe t’a-t-il influencée ?
Je pense que le récit de Sisyphe reflète notre volonté de nous dépasser, d’aller là où aucun homme n’a encore jamais mis les pieds. Peu de personnes savent que ce mythe commence lorsque Sisyphe réussit à duper la Mort. Il est ensuite puni par les dieux et condamné à pousser un énorme rocher jusqu’au sommet d’une montagne pour l’éternité. Il est châtié pour avoir désiré l’immortalité. Cette détermination représente l’impact de la science sur notre futur.
D’où proviennent les différentes images utilisées pour Sisyphus ?
Je collectionne, depuis longtemps, les images scientifiques. Je suis particulièrement intéressée par la conquête de l’espace des années 1960. Durant la Guerre froide, le progrès scientifique était utilisé comme une arme. Je me suis alors rendue à l’université de Budapest, à la recherche de détails sur certaines découvertes. Avec les scientifiques de l’établissement, j’ai ensuite recréé ces expériences réelles, en les modifiant légèrement. J’ai par exemple photographié la rotation du soleil dans un planétarium. J’ai demandé aux scientifiques d’accélérer le mouvement de l’astre, afin de pouvoir représenter une année entière en seulement trois minutes d’exposition.
Les autres photos de la série sont des créations. Lorsque je travaille sur un projet, je dessine ce que j’imagine, puis je cherche un endroit parfait pour shooter. Je mets tout en ordre en espérant que l’image sera fidèle à celle de mon esprit. J’ai puisé mon inspiration dans Evidence, de Larry Syltan et Mike Mandel [un livre photographique regroupant des clichés venus des domaines scientifique, gouvernemental ou institutionnel]. J’ai toujours été fascinée par leur sélection d’images. Côté littérature, les ouvrages de science-fiction de Stanislaw Lem m’ont beaucoup plu.
As-tu fait des découvertes intéressantes durant ce projet ?
Malheureusement, je me pose désormais plus de questions qu’avant de débuter Sisyphus ! Mais ces nouvelles questions alimentent un projet plus récent, intitulé There is nothing new under the sun.
© Kata Geibl