C’est en creusant dans les récits sacrés de leurs origines que les jumeaux Elliot et Erick Jiménez ont composé Entre dos mundos. Une série à l’aura mystique, où les figures que l’on croise appartiennent aux contes d’autrefois. Un article à découvrir dans Fisheye #57.
Née à la fin du 20e siècle, la Santería – aussi appelée Lucumí – est une religion créée par la diaspora africaine à Cuba. Un syncrétisme croisant les figures des orishas (les divinités originaires d’Afrique de l’Ouest) et les saints catholiques. Il est dit que cette osmose entre les croyances et les traditions serait venue d’un besoin de la population noire de pratiquer en cachette sa religion. Prenant la forme des figures chrétiennes, les esprits qu’elle adorait passaient ainsi inaperçus. D’éléments abstraits naturels et colorés, ces déités évoluaient et revêtaient forme humaine. Frères photographes d’origine cubaine et américaine, Elliot et Erick Jiménez ont grandi avec cette spiritualité, cette religion aux visages multiples puisant dans des racines opposées. Une dualité qu’ils lient volontiers à leur propre statut de jumeaux. Aujourd’hui installés entre New York et Miami, ils développent, toujours en duo, un univers à l’esthétique raffiné croisant de nombreuses influences. Photographiques, d’abord, puisqu’ils ont aiguisé leur œil face aux clichés de Sally Mann, Diane Arbus, Sarah Moon ou encore Joel-Peter Witkin, mais aussi picturales. « Notre intérêt pour l’art a grandi en découvrant les tableaux des grands maîtres venus de différents mouvements : la Renaissance, le néoclassicisme, le rococo, le symbolisme ou encore l’impressionnisme », précisent-ils. Un bagage culturel dont les thématiques guident et nourrissent leurs créations : « On assiste souvent, dans ces tableaux, à une conversation entre art et religion qui explore différents sujets propres à l’expérience humaine : le bien contre le mal, la persévérance, la rédemption… On y voit également des figures divines ou mythologiques qui posent telles des protagonistes au cœur d’un paysage », poursuivent-ils.
Alors, en croisant la grandeur de ces peintures avec leurs propres origines, leur perspective unique en tant que migrants cubains de la première génération avec leur goût pour l’esthétisme, Elliot et Erick Jiménez érigent Entre dos mundos. Un conte onirique à la splendeur surréelle rendant hommage à la Santería – et en parallèle, à leur identité. Jouant avec les contrastes et les nuances, les photographes capturent des allégories des divinités vénérées, à la croisée des orishas et des saints. Figures fantasmagoriques et pénétrantes, leurs modèles arborent tour à tour des attributs des deux religions : du camail, une protection de tête en maille, populaire au Moyen-Âge, à la fraise blanche des prêcheurs, en passant par la grâce d’Oshun, déesse de la sensualité et des natures mortes fleuries – références aux offrandes yorubas. Pourtant, malgré le contraste des symboles, ces figures demeurent indéchiffrables. Unies par une noirceur profonde, presque surnaturelle, elles deviennent les témoins d’un échange à l’épreuve du temps. Tissant des ponts entre les images et les mondes spirituels, elles encapsulent cette richesse culturelle dans laquelle les deux frères ont baigné depuis leur plus jeune âge.
© Eliott et Erick Jiménez