Depuis près de vingt ans, Claude Iverné parcourt le Nord Soudan et le Soudan du Sud. Ce livre, Bilad es Sudan, rassemble le récit éclaté de ses multiples voyages et nous invite à naviguer entre reportage et paysage, entre noir et blanc et couleur, entre distance et empathie.
Né en 1963, Claude Iverné fut d’abord un photographe de mode « classique ». Assistant au studio Pin-Up, proche de Pierre Cardin, puis portraitiste de célébrités, il évoluait alors dans un monde de luxe et d’apparence. Quand on découvre aujourd’hui son long et patient travail sur le Soudan, entamé en 1998, on mesure d’autant mieux l’écart entre ces deux mondes et la capacité de la photographie de raconter immédiatement dans « quel monde on est ». C’est grâce à l’obtention du Prix HCB, attribué 2015 par la Fondation Henri Cartier-Bresson, que ce livre Bilad es Sudan a vu le jour. Il a accompagné une exposition du même nom à Paris l’été dernier. Même si l’exposition a été réussie, avec notamment de magnifiques tirages n&b, lourds et « plombés » par la chaleur du désert, c’est dans le livre que le regard à la fois documentaire et poétique de Claude Iverné trouve sa parfaite adéquation.
Un monde mystérieux et silencieux
Dés la couverture, toilée avec en « cuvette » la photo emblématique d’un chien naturalisé suspendu, on sent que l’on entre dans un monde mystérieux et silencieux. Les premières pages sont magistrales, autant dans le rythme photographique que dans la gestion des formats de photos. Les importantes marges blanches restituent parfaitement le caractère intimiste et interrogatif des cadrages limpides de Claude Iverné. Certains paysages minutieux resteront dans notre mémoire, avec forcément en écho les plaques d’Egypte prises en 1850 par Maxime Du Camp. En résistant à la tentation des doubles pages et du graphisme, Bilad es Sudan devient une démonstration visuelle du pouvoir du livre photo. Jusqu’aux légendes finales, où avec parcimonie, l’auteur livre quelques clefs géographiques et politiques. On pourra se sentir moins convaincu par la seconde partie du livre, plus convenu, ou en couleur cette fois, l’auteur a suivi des migrants soudanais dans la vallée de la Roya (Alpes maritimes) à Trégastel ou dans le bois de Vincennes. Même si, là encore, Claude Iverné a cherché (sans vraiment trouvé…) une palette de teintes sourdes qui puisse résonner avec la matière grise de ses images noir et blanc. Quand on referme « Bilad es Sudan », on ne sait pas vraiment ce que l’on a vu, ni appris, mais on se sent plus riche d’une authentique vision esthétique d’un territoire d’autant plus fascinant qu’il se situe à la fois au cœur de l’actualité du monde et sur les rives de notre imaginaire de voyageur…
Bilad es Sudan, Claude Iverné, Xavier Barral Editions, 45 €, 240 pages.
© Claude Iverné