« En me mettant en scène dans ce qui pourrait être interprété comme une humiliation anéantissante – soit un pénis dégoulinant d’un fluide sur mon visage –, je suis à l’inverse oint de douceur par ce fluide de miel. »
Cette semaine, plongée dans l’œil d’Elizabeth Hibbard. Dévoilée dans le Fisheye #57 à travers sa série Swallow the Tail, l’artiste californienne revient nous parler d’une image particulière. Ici, psychologie et étrange se lient pour traiter de la connexion aux autres.
« Cette photographie s’intitule A Sweet Picture. Jusqu’à présent, j’ai réalisé de nombreuses images autour du concept du « trou noir », développé par la psychanalyste James Grotstein. Ce trou noir est la métaphore d’une blessure développementale précoce et profonde dans la psyché, qui ne se comprend pas seulement comme un vide ou une absence, mais bien comme une attraction vers la zone d’abjection. Ayant repris mes études de psychologie profonde, je suis très enthousiaste à l’idée d’utiliser mes nouveaux acquis à la fois linguistiques et psychologiques pour décrire de nombreuses choses que j’ai essayé de dépeindre dans mes images.
Cette image marque un tournant pour moi, non seulement en tant qu’artiste, mais aussi dans ma façon d’interagir avec les autres. En la regardant, on peut ressentir de la terreur et de l’ambivalence dans le désir de se connecter avec autrui, parce qu’il y a un danger sous-jacent d’être « aspirée » par le trou noir dans l’interaction représentée, une crainte d’être avalée et transformée en objet. Seulement ici, il s’agit plutôt des joies que l’on peut ressentir en s’abandonnant à ce désir de connexion. En me mettant en scène dans ce qui pourrait être interprété comme une humiliation anéantissante – soit un pénis dégoulinant d’un fluide sur mon visage –, je suis à l’inverse oint de douceur par ce fluide de miel.
Au moment où j’ai réalisé cette image, je relisais un essai sur Anne Carson à propos d’un concept qu’elle nomme « la décréation » et qui s’intéresse aux femmes qui, sous différents aspects, se sont anéanties elles-mêmes pour une sorte d’amour spirituel, notamment Sappho et Simone Weil. Le phallus est le fruit de ma propre construction, un objet rituel totémique pour interpréter le genre, porté par quelqu’un que j’ai choisi. À travers un grand amour profond l’un envers l’autre et par ce fil de miel qui circule entre nous, nous nous transformons en quelque chose d’autre, quelque chose de supérieur. »