Dans Paterfamilias, Ada Marino s’émancipe du patriarcat

Dans Paterfamilias, Ada Marino s'émancipe du patriarcat
© Ada Marino
© Ada Marino

À l’intersection de la photographie et de l’installation, la série Paterfamilias d’Ada Marino, illustre les conséquences et traumatismes d’une enfance sous le joug du patriarcat. Baigner dans un environnement conservateur et toxique impulse une force créatrice chez l’artiste, qui choisit le médium photographique pour s’exprimer. Témoigner des causes et des résistances d’autrui, devient alors un moyen de parler des siennes.

Née et élevée à Naples, la photographie d’Ada Marino se nourrit de ses racines culturelles – comme le folkore du sud de l’Italie – mais également de ses expériences personnelles ainsi que de celles des membres de sa famille, notamment sa grand-mère. Paterfamilias est d’ailleurs un hommage à cette dernière. Une célébration de la résistance dont elle a fait preuve contre son mari dans les années les plus sombres. Cette posture devient une source d’inspiration pour l’artiste qui s’investit d’une mission : « je souhaitais mettre en lumière un phénomène social trop souvent sous-estimé – l’héritage durable du patriarcat. Confiné·es, durant la pandémie nous avons vu l’indice de violence domestique augmenter, ce qui démontre que le patriarcat n’a malheureusement pas encore été éradiqué », déclare l’artiste. Cette dernière ajoute que la rébellion de sa grand-mère était toutefois « partielle » : « elle faisait partie de cette génération qui refusait le divorce et encourageait la dépendance à son mari, à condition d’être séparé·es tout en vivant sous un même toit. ». Durant cette période, Ada Marino vivait avec eux, faisant d’elle la principale témoin de cette domination masculine. « En tant qu’observatrice, mon sentiment d’impuissance et ma faculté à m’adapter étaient semblables à ce que ressentent la majorité des personnes qui se retrouvent impliquées dans un environnement toxique », poursuit-elle. Ce climat a ainsi créé « une toile de fond sur laquelle [s]a construction artistique a pris forme ». De cette matière, ressortent des images qui n’ont pas seulement ici une fonction documentaire, mais qui servent aussi à capturer ses désordres intimes pour mieux s’en libérer.

© Ada Marino
© Ada Marino
© Ada Marino


© Ada Marino

La photographe, une activiste visuelle

Représentations énigmatiques, images métaphoriques ou symboliques, souvent nuancées par des teintes de gris… Au premier abord, les images de l’artiste italienne interrogent, surprennent par le surréalisme cynique qu’elles convoquent. Si la lecture peut sembler épineuse – les images invitent les regardeur·euses à se poster dans une attitude réflexive afin de découvrir leur sens – « [s]on but est de transporter l’essence de ce qu’[elle a] absorbé, en offrant aux spectateurs une expérience immersive qui dépasse les limites de l’imagerie explicite ». Cette première opacité à laquelle nous sommes confronté·es, face aux œuvres de l’autrice s’explique par l’intérêt qu’elle porte depuis toujours au mystère. « En tant que personne passionnée par diverses formes d’art, j’ai toujours été attirée par les représentations énigmatiques, cherchant à découvrir leur signification cachée », explique-t-elle.

Et lorsqu’on perce le voile, les images d’Ada Marino se révèlent dans leur entièreté. Elles abordent des sujets complexes tels que la dictature des hommes dans la sphère domestique, les droits des femmes, l’avortement, l’inclusivité, ou même l’identité. Elles esquissent, in fine, une trame bien plus sombre qu’elle n’y parait. Sa pratique, assurément centrée sur les femmes, leurs causes, leurs préoccupations ainsi que ce à quoi elles sont fréquemment confrontées : stéréotypes, discriminations, ou encore le sentiment de constriction et le rapport complexe à la maternité, assoie la position de la photographe comme une activiste visuelle, qui, à travers son œuvre, fait parler les voix muettes, tout en convoquant une certaine libération, lui permettant de « réparer [s]on trouble intérieur et d’exorciser [s]a douleur, mais surtout d’être une voix encourageante ». « Aujourd’hui, je ne me définis pas comme une fervente féministe, mais plutôt comme une femme qui s’efforce de se libérer de l’ombre des paradigmes patriarcaux, dans le but de présenter une perspective émancipée aux membres masculins de la famille qui n’ont été habitués qu’à une certaine réalité », conclut Ada Marino.

© Ada Marino
© Ada Marino
© Ada Marino
À lire aussi
Féminisme : une nouvelle vague surfe sur Instagram
Féminisme : une nouvelle vague surfe sur Instagram
Dans la société patriarcale dans laquelle nous vivons, la photographie s’est imposée à bien des égards comme un pouvoir pour les femmes….
01 septembre 2017   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les nouveaux féminismes de Karen Paulina Biswell à la galerie Intervalle
Les nouveaux féminismes de Karen Paulina Biswell à la galerie Intervalle
Du 9 mars au 22 avril 2023, la galerie Intervalle présente une exposition consacrée au projet Ellas de Karen Paulina Biswell. Une…
24 février 2023   •  
Écrit par Milena III
Explorez
Rencontres du 10e 2025 : une biennale en prise avec le monde
© Chloé Nicosia, One Hundred Trillion Dollars / Courtesy of the artist and Rencontres photographiques du 10e
Rencontres du 10e 2025 : une biennale en prise avec le monde
Pour cette édition 2025 des Rencontres photographiques du 10e, qui défie une nouvelle fois les attentes, les photographes mis·es en avant...
07 octobre 2025   •  
Écrit par Milena III
Performer l'invisible : Hoda Afshar et l'acte de regarder
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Performer l’invisible : Hoda Afshar et l’acte de regarder
Avec Performer l’invisible, Hoda Afshar transforme une partie du musée du quai Branly – Jacques Chirac en espace de réflexion sur le...
30 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 22 septembre 2025 : poésie, transmission et écologie
© Léo d'Oriano
Les images de la semaine du 22 septembre 2025 : poésie, transmission et écologie
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les images publiées dans Fisheye donnent à voir des messages d’émancipation, de ruptures avec les...
28 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
© Valentin Derom
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
Avec Support Systems, Valentin Derom explore les gestes de soin là où on ne les attend pas : dans les étables, aux côtés de son père...
26 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Oxalis (détail), 2024 © Pooya Abassian
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Lee Ufan Arles et la Maison Guerlain ont annoncé hier, à la Guerlain Academy, le nom du troisième lauréat de leur prix Art &...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
Residency InCadaqués 2025 © Antoine De Winter
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
La rentrée scolaire est souvent synonyme de foisonnement d'expositions. Pour occuper les journées d'automne et faire face à la dépression...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Retrouvez Fisheye au Salon de la Photo 2025 !
Untitled, 2008 © Anna Di Prospero
Retrouvez Fisheye au Salon de la Photo 2025 !
La grande halle de la Villette accueille, du 9 au 12 octobre 2025, la nouvelle édition du Salon de la Photo. Rendez-vous en ce début...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Rencontres du 10e 2025 : une biennale en prise avec le monde
© Chloé Nicosia, One Hundred Trillion Dollars / Courtesy of the artist and Rencontres photographiques du 10e
Rencontres du 10e 2025 : une biennale en prise avec le monde
Pour cette édition 2025 des Rencontres photographiques du 10e, qui défie une nouvelle fois les attentes, les photographes mis·es en avant...
07 octobre 2025   •  
Écrit par Milena III