C’est durant les répétitions d’une compagnie de danse que Valéria Quinci réalise Dance Theatre after Pina Bausch. Un hommage en noir et blanc à la grande chorégraphe, et à sa capacité à traduire les états d’âme en mouvements.
« Ce qui a le plus marqué ma jeunesse ? Les étés passés à Ráckeve, d’où ma famille paternelle est originaire, au bord d’un Danube bordé de saules pleureurs. Les habitant·es de cette petite ville étaient plus éclectiques : famille de pêcheur·ses, artisan·es, musicien·nes, peintres, sculpteurices… Je ressens toujours l’âme de cet endroit quand j’y rentre », confie Valéria Quinci. Un écrin d’émotions qu’elle garde à l’esprit, comme un phare lui indiquant une direction créative. Un rappel de laisser la beauté ou la grâce d’un instant guider sa prise de vue. Son diplôme en commerce en poche, l’artiste hongroise débute une carrière dans le marketing international à Budapest, avant d’emménager à l’étranger. Cinq pays visités plus tard, elle s’installe en France, où la naissance de ses enfants pose un dilemme nouveau : « reprendre une recherche d’emploi – qui peut s’avérer particulièrement longue – ou prendre mon courage à deux mains et me mettre à mon compte », raconte-t-elle.
Passionnée par le médium photographique, elle trouve dans l’image un terrain d’apprentissage sans limites, un outil lui permettant de se remettre en cause, d’évoluer. À travers l’image, c’est sa sensibilité instinctive, celle qui ancre dans son imaginaire les paysages de son enfance, qui émerge. Une palette de nuances mêlant « l’authenticité, la pureté, le courage, les moments de peine ou de joie – en bref, les ressentis de la condition humaine », déclare l’autrice.
Le dialogue des corps
Autant d’états d’âme qui guident ses collaborations et leur donnent forme. C’est lors d’un shooting pour la compagnie de Layra Rodriguez que Valéria Quinci compose Dance Theatre after Pina Bausch. Une série d’images monochromes où les corps deviennent des formes spectrales aux mouvements flous. D’une arabesque, les jambes, les ports de bras s’effacent, laissant dans l’air des vagues aux couleurs de peaux, comme l’incarnation fanée d’une présence éphémère. Loin de se contenter de capturer la réalité des répétitions, la photographe rend hommage à une expression corporelle qui la fascine. « Avec la danse, on peut sentir, et faire sentir sans avoir recours aux mots. C’est profond. C’est pur. C’est sans superflu », précise-t-elle.
À l’instar de Pina Bausch dont elle admire la capacité à « créer un lien profond avec les danseur·ses », la manière « dont les émotions sont tirées du mouvement en revivant les souvenirs et le vécu personnel de chaque performeur·se pour créer des pièces de danse-théâtre authentique », Valéria Quinci s’échappe du tangible pour venir décrocher l’énergie vive née du dialogue des corps. Figures fantomatiques figées dans une embrassade, dos cambrés, doigts tendus vers l’invisible… Alternant le brouillard et la netteté, la douceur du vaporeux et le contrastes brusques – celui des bras sur le fond noir, celui des projecteurs qui inondent la scène d’une lumière dichotomique – la photographe s’affranchit de la réalité. Face à son objectif, l’entraînement, la fatigue, la recherche de la perfection s’estompent pour ne laisser place qu’à la sensation. Celle qui s’impose à nous, celle qui étouffe le bruit du reste pour n’en faire qu’un écho. Une belle manière de « donner plus d’amplitude émotionnelle [à la scène] et toucher la frontière du surréel », conclut l’autrice.