Jusqu’au 7 octobre, la Magnum Paris Gallery présente Early Colors, une exposition qui nous emmène dans un voyage à la découverte des pionnier·ères de la photographie couleur du 20e siècle.
Avec Early Colors, Magnum Photos retrace l’histoire de la photographie en couleur à travers huit noms incontournables : Werner Bischof, Ernst Haas, Alex Webb, Harry Gruyaert, Constantine Manos, Miguel Rio Branco, Bruno Barbey et Gueorgui Pinkhassov. Il s’agit de la première exposition de groupe de la galerie parisienne et elle apporte un éclairage passionnant sur un tournant de l’histoire du 8e art. C’est une grande mutation qui s’opère, mais aussi le début d’une lutte pour la reconnaissance, puisqu’à ses débuts, la photographie couleur était discréditée et considérée comme trop « commerciale » ou techniquement inférieure. Cartier-Bresson lui-même, fondateur de Magnum, a détruit une grande partie de ses négatifs en couleur, pris de snobisme envers ce médium et enfermé dans des carcans esthétiques anciens. Pour lui, la photographie en couleur était tout simplement « indigeste ». D’autres, plus courageux et audacieux, ont tout de suite capté la puissance de la couleur en photographie. C’est le cas d’Ernst Haas qui, dans les années 1950, prenait note sur son journal : « La mode, la nourriture, les voyages, les voitures, l’aviation, tout a pris un nouvel éclat. L’âge des ténèbres était révolu. Faut-il s’étonner qu’un jeune photographe ait souhaité passer de la photographie en noir et blanc à la photographie en couleur ? »
La photographie couleur : histoire d’une transition contreversée
La transition du noir et blanc à la photographie couleur fût bien plus complexe que ce que l’on imagine. Elle donna lieu à des débats esthétiques et techniques majeurs entre les photographes de l’époque en divisant même à l’intérieur de l’agence Magnum. Bien que l’exploration de la couleur comme nouveau médium photographique ait été encouragée par plusieurs photographes, comme Robert Capa, d’autres acteurices de l’industrie n’étaient pas entièrement convaincu·es, comme le prouvent les mots de Cartier-Bresson. Pourtant, la photographie couleur apportait aux images un nouveau pouvoir narratif fait de lumières, ombres, nuances, reflets, en élevant le quotidien au rang d’extraordinaire. Un pouvoir perceptible, par exemple, dans la série Sightwalk de Pinkhassov, prise dans les rues de Tokyo. Dans Made in Belgium de Gruyaert, la lumière tamisée, le gris, le bleu et l’orange sont des éléments essentiels de l’image. Ils montrent un pays en voie de développement, influencé par la culture étasunienne. Les couleurs fixent ici un cadre social bien précis en apportant à la série une force documentaire décuplée. Le passage à la couleur fût parfois un véritable tournant de style. Constantine Manos, lorsqu’il commence à voyager aux États-Unis, se tourne vers la couleur, en particulier grâce au Kodachrome : un changement radical par rapport à son très sérieux Portfolio Grec. Mais l’une des archives les plus intéressantes présentées à Early Colors est celle de Werner Bischof, qui marque le début du parcours. Le photographe avait déjà entamé une expérience en couleur en 1939 avec un appareil photo Devin Tricolor. Ses aventures dans ce domaine sont restées cachées dans ses vastes archives en noir et blanc, avant d’être découvertes et partagées avec le monde près de 70 ans après sa mort par la succession Werner Bischof (Tania Kuhn & Marco Bischof). Samantha McCoy, directrice de la galerie Paris et curatrice d’Early Colors, explique : « Nous ne pensons pas souvent à la couleur lorsque nous évoquons les premières années de Magnum, et pourtant plusieurs photographes de la coopérative ont joué un rôle déterminant dans l’avènement de la couleur. À l’heure où ce médium est de plus en plus intégré dans le monde de l’art, nous pensons qu’il est temps de revenir sur ces années charnières et de célébrer l’art qui en a découlé. »