Les œuvres de Ngadi Smart, révélatrices d’une multitude de couleurs et d’un certain goût pour le surréalisme, impressionnent. À l’occasion de Kyotographie 2021, l’artiste avait présenté une série de collages photographiques, intitulée Ee don tehm foh eat – soit en krio, l’un des dialectes sierra-léonais : « Il est temps de manger ».
Artiste visuelle originaire de Sierra Leone, Ngadi Smart cherche dans son travail à documenter les cultures et les questions sociales et environnementale, mais aussi, à explorer les thèmes de l’identité et de l’intimité, en montrant la sensualité et la sexualité des Noir·es d’un point de vue africain. En filigrane, un désir constant de donner à voir le plus de représentations possibles des peuples africains. L’un de ses moyens d’expression privilégiés ? Le photo-collage, qui se distingue en particulier par son audace. Dans une démarche tout à fait surprenante, avec Ee don tehm foh eat, Ngadi Smart tente, à partir du constat de leur éloignement géographique, culturel et social, de tisser des ponts entre les cultures africaines et asiatiques – plus précisément, ouest-africaine et japonaise. Et ainsi, de « réduire le fossé entre les deux zones, et aller vers une compréhension mutuelle, par la célébration », affirme-t-elle.
L’idée de réaliser des collages ne s’est pourtant pas complètement imposée d’elle-même, mais bien en partie en raison du contexte de la pandémie de Covid-19, obligeant ainsi la photographe à travailler à distance, à partir d’archives photographiques – notamment avec l’aide de l’équipe du festival international Kyotographie. On repère également certains détails de collages qui relèvent du dessin, façon pour l’artiste de faire le pont entre son activité d’illustratrice, et de photographe. Toutes ces pratiques, au final, répondent à un seul et même besoin : celui d’une certaine liberté, propre à l’enfance. « Je crois que nous devrions tous nous rappeler de puiser davantage dans notre enfant créatif intérieur, encore et encore », déclare-t-elle.
La Sierra Nippone en images
Mais quels points communs existe-t-il concrètement entre ces univers que tout semble éloigner ? Les recherches de l’artiste sierra-léonaise lui enseignent que l’on retrouve, dans l’une et l’autre culture, certaines croyances spirituelles comme l’animisme, tout comme l’importance des cérémonies et des rituels pour maintenir la cohésion de la société. Ou de la hiérarchie sociale et de la connaissance de l’âge et du rang d’une personne. Mais encore ? « L’amour de la nourriture est extrêmement important et proéminent dans les pays d’Afrique de l’Ouest et au Japon », explique Ngadi Smart. Et c’est précisément cette question, bien plus primordiale qu’on veut parfois le croire, qui est au cœur de ce travail de collage de l’artiste sierra-léonaise. « Un repas typique d’Afrique de l’Ouest est composé de féculents et peut contenir de la viande ou du poisson, ainsi que diverses épices et herbes, qui sont servis avec des soupes et des ragoûts. De la même manière, le riz et les nouilles, qui sont tous deux des féculents, sont des aliments de base sur toutes les tables japonaises, servis dans des soupes ou avec des viandes cuisinées de différentes manières », détaille-t-elle. Ce sont donc en grande partie ces traditions culinaires qui permettraient, pour Ngadi Smart, de transcender les différences culturelles.
C’est la nourriture qui rapproche les individus, et les communautés, raconte Ee don tehm foh eat. Les photographies, anciennes et actuelles, de divers évènements du marché de Demachi Masugata – grande rue commerçante de la ville de Kyoto, au Japon – , côtoient une imagerie africaine, faite d’images publicitaires tirées d’anciens magazines et de photos d’aliments locaux de Sierra Leone. « J’ai voulu donner vie à une œuvre hybride, réunissant les deux cultures : offrir une représentation du transculturalisme », confie-t-elle. Donner une impulsion au passage entre les cultures, encourager un mouvement vers plus de fluidité, sont des notions à la base de la vision artistique de Ngadi Smart. En quelque sorte, l’artiste refuse les discours qui figent les identités culturelles, mais identifie des ressources, qui peuvent être déployées, et partagées. D’où la richesse infinie d’un art visuel foisonnant, et tourné vers l’avenir.