Elles x Paris Photo : manifestement en lumière

09 novembre 2023   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Elles x Paris Photo : manifestement en lumière
© Ira Lombardia. Courtesy Gallery Alarcón Criado
© Sara Imloul. Courtesy de l’artiste

Le parcours Elles × Paris Photo, qui vise à mettre en lumière le travail des femmes photographes, marque ses cinq ans avec la publication d’un ouvrage qui rassemble les témoignages et les images de plus d’une centaine d’artistes.

Il y a beaucoup de chiffres en ouverture du livre Elles × Paris Photo, qui restitue le projet initié par Paris Photo avec le soutien du ministère de la Culture et du programme Women In Motion de Kering. Le premier, 20 %, c’est le pourcentage d’artistes féminines parmi tous·tes les artistes présenté·e·s dans la foire en 2018. Le second, 36 %, acte la progression de la part des femmes en cinq ans. Si les chiffres n’ont pas l’aura poétique des images, ils prouvent que ce qui est en cours dans l’écosystème de la photographie participe d’une redéfinition des règles du jeu de l’art et de la culture jusque dans ses ramifications sociales, esthétiques et politiques.

À travers une exploration panoramique, Elles × Paris Photo rend compte de ces années d’émulation auxquelles ont participé 130 artistes des parcours photographiques de la foire parisienne depuis 2018. Des contributions éditoriales éclairées et autant de témoignages sur les références et inspirations artistiques de chacune viennent compléter la trame visuelle du livre. Ils démontrent que la photographie au féminin n’est pas qu’une action autocentrée mais une participation à une culture collective et ouverte. Il faut dire qu’en cinq ans, les lignes ont bougé. Durant ces années post #metoo, la présence et l’action des femmes à tous les niveaux de la création artistique sont devenues quantifiables et visibles. La femme photographe a toujours existé, mais sans doute moins que son double de femme photographiée. Cette dualité, certaines artistes s’y frottent en travaillant au plus près du corps, à la fois sujet, objet d’aliénation ou véhicule vers l’émancipation. Selon qu’elles sont issues de démocraties occidentales ou de régimes autoritaires, il représente une métaphore de la condition féminine à un instant T.

© Laia Abril. Courtesy de l’artiste et galerie Les Filles du Calvaire
© Anastasia Samoylova. Courtesy galerie Caroline O’Breen.

Entre réification et libération

Ainsi, Suzanne Lacy, Marina Abramović ou ORLAN, pionnières de la performance, ont brandi le corps comme un matériau capable de tout dès les années 1970. Dans les années 2000, c’est le tchador intégral qui occupe la série Like Everyday de Shadi Ghadirian, tandis que le visage des femmes est remplacé par des appareils ménagers : fer à repasser, balai, bouil- loire… Autant de métonymies de leur vie limitée.

Entre réification et libération, le corps se réinvente. Il est saisi à rebours des clichés normés par Anne Morgenstern, qui effectue un gros plan sur sa matérialité et sa texture, ou dans les couleurs acidulées de la pub que Charlotte Abramow utilise pour portraiturer une nouvelle génération de femmes puissantes comme Angèle ou Lous and the Yakuza. Ou encore dans les compositions de Delphine Diallo, qui s’attachent à donner au corps féminin toute sa dimension « divine ». Lieu de projection d’un désir longtemps exclusivement masculin, il se dénude aujourd’hui sous le female gaze assumé de Mickalene Thomas, qui reprend les codes du nu occidental et exalte le corps des femmes noires, ou avec Myriam Boulos, qui collecte les fantasmes sexuels des femmes pour tisser des récits visuels incandescents.

Si la force créatrice de l’Éros est là, assumée, Thanatos n’est jamais bien loin, comme le montrent les travaux de Laia Abril, Cannon Bernáldez ou Camille Gharbi, qui documentent sa face sombre lorsqu’il se fait menaçant ou violent. À travers des récits complexes qui mêlent images, enquête et narration, elles mettent en lumière une autre réalité : celle des avilissements, des avortements et des féminicides. Le corps des femmes demeure un enjeu majeur, mais le champ créatif des photographes ne saurait s’y limiter.

L’Histoire l’a montré : les femmes ont su prendre l’air à chaque fois qu’elles pouvaient sortir des espaces confinés du domestique. De la « chambre à soi » aux zones de guerre et à la photographie conceptuelle, elles ont fait du chemin. Certaines, pourtant, n’ont pas besoin d’aller loin pour trouver matière à créer. Comme la Finlandaise Nelli Palomäki qui, depuis son jardin, observe le jeu des lumières et des ombres et rend hommage au processus analogique, tandis qu’Almudena Romero le retravaille en pro- fondeur en utilisant non pas la chimie mais des matériaux végétaux pour faire émerger ses images. D’autres voyagent, s’immergent dans le vivant, se hissent au sommet des montagnes, comme Aurore Bagarry ou Chen Xiaoyi, qui mènent une recherche plastique et documentaire au plus près des roches enneigées.

Cet article, signé Léo de Boisgisson est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #62 : Songes, disponible ici.

À lire aussi
La 26e édition de Paris Photo se dévoile ! 
© u2p050
La 26e édition de Paris Photo se dévoile ! 
Du 9 au 12 novembre 2023, Paris Photo s’installe au Grand Palais Éphémère pour sa 26e édition….
19 septembre 2023   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Elles X Paris Photo : Ira Lombardia appelle à agir
Elles X Paris Photo : Ira Lombardia appelle à agir
Dans le cadre du parcours digital dédié aux femmes photographes Elles X Paris Photo, nous présentons, durant dix…
11 novembre 2020   •  
Écrit par Anaïs Viand
Rosângela Rennó se dévoile dans le hors-série Fisheye en collaboration avec Kering | Women In Motion
Sans-titre (Davi Tupi), de la série « Nuptias », 2017-2023 © Gabriela Carrera
Rosângela Rennó se dévoile dans le hors-série Fisheye en collaboration avec Kering | Women In Motion
Lauréate 2023 du Prix Women In Motion initié par Kering, la Brésilienne Rosângela Rennó fait…
05 juillet 2023   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Éditions Textuel
312 pages
39 €
Explorez
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
© Guénaëlle de Carbonnières
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
À la suite d’une résidence aux Arts décoratifs, Guénaëlle de Carbonnières a imaginé Dans le creux des images. Présentée jusqu’au...
11 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
© Bastien Bilheux
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
Bastien Bilheux et Thao-Ly, nos coups de cœur de la semaine, vous plongent dans deux récits différents qui ont en commun un aspect...
08 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dörte Eißfeldt, lauréate du prix Viviane Esders 2025
© Dörte Eißfeldt
Dörte Eißfeldt, lauréate du prix Viviane Esders 2025
Dörte Eißfeldt reçoit le prix Viviane Esders 2025 pour une œuvre qui repousse les frontières du médium, alliant rigueur conceptuelle et...
06 décembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
© Carla Rossi
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
Dans son ouvrage Bellissima, publié par Art Paper Editions, Carla Rossi explore les désirs, les façades et les codes qui façonnent la...
03 décembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Bernard Plossu : Naples à hauteur d'âme
© Bernard Plossu
Bernard Plossu : Naples à hauteur d’âme
Présentée à la galerie Territoires Partagés jusqu'au 31 janvier 2026, Les Napolitains de Bernard Plossu marque un tournant dans le...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
© Guénaëlle de Carbonnières
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
À la suite d’une résidence aux Arts décoratifs, Guénaëlle de Carbonnières a imaginé Dans le creux des images. Présentée jusqu’au...
11 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
© Damien Krisl
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
Chaque mois de décembre, Pantone dévoile sa couleur pour l’année suivante. Pour 2026, il s’agira de « Cloud Dancer », à savoir une nuance...
10 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Italie, Sicile, Taormine, 1981 © Raymond Depardon / Magnum Photos
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Après huit mois de travaux pour rénovation, le Pavillon populaire de Montpellier rouvre ses portes. À cette occasion, le musée...
10 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet