Fisheye : Comment as-tu découvert les catcheurs féticheurs de Kinshasa ?
Colin Delfosse : Je travaille en République démocratique du Congo depuis 2007, sur l’héritage colonial belge, les mines, la politique. Un soir, je suis tombé sur des catcheurs congolais. C’était très fort visuellement. Ca m’a accroché tout de suite, et ça m’a donné l’idée d’en faire un sujet positif et décalé.
Ta manière de travailler a-t-elle évoluée au cours de ce sujet ?
Absolument. J’ai commencé en faisant du reportage en noir et blanc. J’ai vite évolué vers la couleur, un peu en numérique et beaucoup en argentique. Puis je me suis mis au moyen format parce que j’avais envie de faire évoluer mon écriture photographique. J’avais fait un premier travail au 6×6 en Chine, et quand je suis retourné à Kinshasa pour assurer des commandes pour la presse j’en ai profité pour réaliser les portraits des catcheurs.
Comment as-tu mis en scène ces portraits ?
Ce sont des portraits documentaires. Comme je connaissais les catcheurs, je leur demandais de se mettre en tenue et je les faisais poser chez eux ou à la sortie du ring. Parce que l’idée, c’était de montrer en toile de fond leur univers à Kinshasa. Cette ville de plus de 10 millions d’habitants est complètement dingue : beaucoup de gens vivent dans des taudis, sans électricité ni eau courante.
Quelle place tient le catch dans leur quotidien ?
Faire du catch, c’est une manière d’exister socialement. En plus de leurs petits boulots, ça leur permet de gagner un peu d’argent en plus. Dans les quartiers périphériques de Kinshasa, tout le monde les connaît. On les appelle par leur nom de catcheur.
Les catcheurs ont-ils vu tes images ?
Ce reportage s’est déroulé sur plusieurs années. Je suis retourné de nombreuses fois à Kinshasa et j’ai eu l’occasion de donner à chacun son portrait. J’ai même monté une exposition autour de ce travail à l’Institut français de Kinshasa. Un événement qui a été une belle reconnaissance. Par la suite, ils s’en sont servi sur leur profil Facebook et pour faire des affiches.
Quel regard portes-tu sur ce pays où tu travailles depuis dix ans ?
C’est un pays marqué par la guerre, en plein processus de démocratisation. Mon approche là-bas s’est modifiée au fil du temps. Il y a des gens qui ont peur de Kinshasa. Moi j’aime cette ville, elle en dit long sur l’Afrique contemporaine. Je voulais montrer autre chose que les horreurs qui peuvent s’y dérouler.
Propos recueillis par Éric Karsenty | Mise en page par Marie Moglia
Toute armée forgée contre moi sera sans effet
Éditions 77, 40 €, 80 pages