Eric Tabuchi : The Third Atlas, ou la mécanique des rêves

Eric Tabuchi : The Third Atlas, ou la mécanique des rêves
© Eric Tabuchi
IA homme devant une installation à bulles
© Eric Tabuchi
IA, architecture
© Eric Tabuchi
IA, laboratoire
© Eric Tabuchi
IA, architecture en ruine
© Eric Tabuchi

À l’aide de Midjourney, Eric Tabuchi imagine The Third Atlas, une série post-apocalyptique développée durant de longues heures de travail. Un univers composé dans un état de transe, proche de celui qui suscite l’arrivée des rêves…

Eric Tabuchi est un arpenteur singulier. Fisheye suit son parcours de près depuis qu’avec l’artiste Nelly Monnier, ils s’étaient mis à sillonner ensemble les routes de France huit ans durant afin de constituer leur Atlas des régions naturelles (ARN) – dont le volume 6 sort fin octobre aux éditions Poursuite. En parallèle du terrain réel, il s’intéresse au terrain virtuel, et publie Atlas of Forms (2017), corpus qui rassemble toutes sortes d’architectures qu’il a collectées sur internet. L’artiste français d’origine dano-japonaise, dont l’écriture documentaire s’attachait jusque-là à explorer avec une certaine poésie les typologies de paysages et d’architectures, a découvert avec la version 5 de Midjourney (MJ V5), sortie en mars 2023, une autre manière de poursuivre ses recherches. Avec cette intelligence artificielle (IA), « j’ai rapidement acquis la conviction que l’image photographique, plus qu’un saut technique, vivait là une révolution, explique Eric Tabuchi. Je souhaitais explorer l’instrument, je voulais en connaître les potentialités mais aussi les limites, voir où il pouvait me mener, et dans quelle mesure il pouvait enrichir et questionner ma pratique photographique. »

Au début de ce travail d’investigation, l’artiste s’est servi de ses propres images issues des deux premiers atlas, ARN et Atlas of Forms. « Les images qui en ont résulté étaient donc principalement liées à l’architecture. Pourtant, très rapidement, le fait d’utiliser MJ V5 pour reproduire le travail qui est le mien en photographie m’a paru absurde, analyse l’auteur. Il fallait utiliser les possibilités offertes par l’IA, notamment celle de figurer la présence humaine. La véritable révolution introduite par l’IA est de permettre à saon utilisateurice de ne plus être tributaire du réel, d’en être en quelque sorte émancipé et par conséquent, un peu comme un romancier ou un auteur de bandes dessinées, d’accéder à cette possibilité qu’est la fiction avec un rendu qui se rapproche du grain photographique. »

L’IA pour ouvrir les portes de l’inconscient

L’artiste décide alors de donner à son troisième atlas une forme de « fable post-apocalyptique commençant par une explosion nucléaire, celle-ci figurant la déflagration à laquelle le monde de la photographie [vient] de faire face. » The Third Atlas a demandé un millier d’heures de travail et des dizaines de milliers de requêtes environ. Un véritable « parcours initiatique, concède l’auteur. Une longue transe durant laquelle j’ai retrouvé le souvenir de tout ce que j’ai pu regarder et voir. C’est dans cet état second – proche de celui que produit la musique électronique – que sont survenues toutes ces résurgences qui, entre rêve et cauchemar, renvoient à un surréalisme 3.0. » Le travail de déplacement et de condensation opéré par l’IA n’est pas sans rappeler la mécanique des rêves et de l’inconscient. « Pour en accentuer l’effet, j’ai souvent rédigé mes prompts en fermant les yeux, de telle sorte que ma demande soit la plus dénuée de sens possible et que, d’une certaine manière, l’IA m’ouvre la porte de son inconscient en même temps que celle du mien », révèle Eric Tabuchi.

Si le travail rassemblé dans l’Atlas des régions naturelles constitue « un éloge de la singularité », comme nous le confiait l’auteur dans Fisheye #46, The Third Atlas jette les bases d’une possible reconstruction d’un nouveau monde de l’image. L’auteur élabore ici une vision et construit un récit qui s’oppose à l’outil normatif que représente le fonctionnement de l’IA. Non dénuée d’humour, sa fable propose une réflexion sur la manière dont cette technologie remet en cause notre regard et notre perception du réel. Une expérience qui a le courage de s’aventurer sur de nouveaux territoires afin « de ne pas subir les évènements mais d’y prendre part, d’être un acteur éclairé plutôt que le spectateur sceptique ou crédule de cette révolution, déclare le photographe. Je suis heureux de voir que The Third Atlas, poursuivant son chemin hors des sentiers battus, touche des gens aussi éloignés que des écrivains, des architectes, des chercheurs du MIT ou des musiciens. »

IA, femme face à un chantier
© Eric Tabuchi
IA, installation surréaliste
© Eric Tabuchi

IA, silhouette contre un mur
© Eric Tabuchi
IA, installation surréaliste
© Eric Tabuchi
IA, arbre avec des toiles
© Eric Tabuchi
À lire aussi
Onironautica : les rêves lucides, l’IA des êtres humains
© Ludovica De Santis
Onironautica : les rêves lucides, l’IA des êtres humains
Collections d’images venues de rêves lucides, Onironautica de Ludovica De Santis interroge, au travers de mises en scène intrigantes…
19 juillet 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les dépêches artificielles de Ryan Taylor
© Ryan Taylor
Les dépêches artificielles de Ryan Taylor
Bienvenue à Brigadoon, un village idyllique qui n’est pas affecté par le temps. Une vieille légende écossaise raconte qu’il n’est…
03 février 2024   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Focus #63 : Brea Souders se remémore son amitié avec une IA
06:35
© Fisheye Magazine
Focus #63 : Brea Souders se remémore son amitié avec une IA
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Cette semaine, Brea Souders revient sur sa relation épistolaire avec un chatbot prenant l’identité…
01 novembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Intelligence artificielle : ces séries qui sèment le trouble
© Noah Pharrell
Intelligence artificielle : ces séries qui sèment le trouble
Perçue comme un simple outil destiné à aider et pousser la créativité des photographes ou comme un véritable danger pour la profession…
29 septembre 2023   •  
Écrit par Fisheye Magazine

Explorez
Copyright Swap : Tamara Janes, sans feu ni droit
© Tamara Janes
Copyright Swap : Tamara Janes, sans feu ni droit
Sous le charme de la collection d’images de la New York Public Library, Tamara Janes conçoit Copyright Swap comme une manière de rendre...
28 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
La sélection Instagram #482 : album clair-obscur
© Jedibe Nórdal / Instagram
La sélection Instagram #482 : album clair-obscur
Notre sélection Instagram de la semaine s’intéresse aux jeux de lumière, aux ombres, au noir intense et au blanc éblouissant. Les...
26 novembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Zoé Isle de Beauchaine : des produits pharmaceutiques sublimés
Mieux Vivre, Le Bain, août 1936 Photographie de Paul Wolff
Dans l’œil de Zoé Isle de Beauchaine : des produits pharmaceutiques sublimés
Aujourd’hui, plongée dans les pages d’une ancienne revue pharmaceutique. Dans le cadre de l’exposition Années 1930 et modernité : l’âge...
18 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Lux : la naissance d’un rendez-vous photographique
© Deanna Dikeman
Lux : la naissance d’un rendez-vous photographique
Pour son premier évènement, le tout nouveau Réseau Lux nous en met plein la vue en investissant les murs d’un ancien bureau de poste du...
15 novembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Father : Diana Markosian fige ses retrouvailles avec un père dont elle a été séparée
Extrait de Father (Atelier EXB Paris, 2024) © Diana Markosian
Father : Diana Markosian fige ses retrouvailles avec un père dont elle a été séparée
Dans Father, Diana Markosian prolonge le récit intime qu’elle avait entamé avec Santa Barbara, qui revenait alors sur son départ...
28 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Copyright Swap : Tamara Janes, sans feu ni droit
© Tamara Janes
Copyright Swap : Tamara Janes, sans feu ni droit
Sous le charme de la collection d’images de la New York Public Library, Tamara Janes conçoit Copyright Swap comme une manière de rendre...
28 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
 Folk, voyage dans l’Angleterre ré-enchantée : portrait nuancé du druidisme
© Theo McInnes
 Folk, voyage dans l’Angleterre ré-enchantée : portrait nuancé du druidisme
Avec leur livre Folk, voyage dans l’Angleterre réenchantée, le journaliste Thomas Andrei et le photographe Theo...
27 novembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Art et journalisme : comment les photographes de Fisheye relatent l’histoire
© Andrea Sena
Art et journalisme : comment les photographes de Fisheye relatent l’histoire
Enjeux sociétaux, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le...
27 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas