Les Douches la Galerie présente La couleur visionnaire, une exposition consacrée au travail d’Ernst Haas. Un voyage dans l’œuvre abstraite et intemporelle du photographe viennois.
Né en 1921, Ernst Haas est reconnu comme l’un des pionniers de la photographie couleur. Venu de Vienne, l’artiste s’installe à New York en 1951, et délaisse alors le monochrome pour capter l’effervescence de la ville américaine. En 1953, le magazine Life publie un reportage couleur de 24 images de l’artiste, une première pour le journal. Étonnante et intemporelle, l’exposition La couleur visionnaire présente 40 clichés du photographe, pris entre 1952 et 1981. Inédites pour la plupart, ces photographies illustrent le goût de l’auteur pour la modernité et l’évolution constante de sa pratique. Au fil des œuvres, son amour pour l’abstraction, les jeux de superposition, les flous poétiques et la peinture apparaît, révélant une identité complexe et fascinante. Un voyage dans la carrière d’un artiste passionné par la nouveauté.
Car c’est la modernité qui captive Ernst Haas. Grand voyageur, le photographe a parcouru le monde entier, travaillant pour Life, Vogue, Look ou encore Esquire. De la France aux États-Unis, il fige le progrès avec délice et bouleverse la vision classique du médium photographique. Dans les années 1970, l’auteur shoote, par exemple, de nombreuses télévisions couleur. « Il semble vouloir recenser les signes de l’Amérique contemporaine et de ses mythologies politiques, diplomatiques, scientifiques, sportives et culturelles », précise le critique d’art Étienne Hatt. Sans artifice, il photographie les écrans allumés. Des images brutes, symboliques d’un progrès qui le rend admiratif.
Altérer la perception
Quoique précurseur, le photographe a cédé sa place, dans les livres d’histoire, aux auteurs de la génération suivante. Un succès timide, lié à l’histoire du médium : « En 1963, John Szarkowski (alors devenu directeur de la photographie du MoMA) affirmera que la volonté d’art de la photographie est inséparable du noir et blanc », explique Étienne Hatt. La couleur est jusqu’alors perçue comme un simple outil de reproduction, captant le monde avec un réalisme entendu. Il faudra attendre les expositions de William Eggleston et Stephen Shore pour que cette idée vole en éclat. Pourtant, Ernst Haas jouait déjà avec les notions de réalisme et d’abstraction, transformant la couleur en un terrain d’expérimentation sans limite. « Celle-ci contribue à altérer la perception, Haas ne l’utilise jamais pour sa valeur descriptive », déclare Étienne Hatt.
Au cœur des images, les doubles expositions, les flous et les aplats de couleur rappellent les mouvements picturaux avides de se détourner du réel. Avec la couleur, notamment les rouges soutenus, le photographe transforme les espaces urbains en paysages poétiques empreints de nostalgie. Son goût pour l’image dans l’image donne lieu à des constructions romanesques sublimes : une affiche d’un couple s’embrassant est mise en cage par une grille froide, un cliché d’une Marilyn Monroe triomphante semble avaler les gratte-ciel de la ville. En refusant le monochrome, Ernst Haas compose un récit aussi abstrait qu’envoûtant, d’une impressionnante modernité.
Les Douches la Galerie
Jusqu’au 9 novembre 2019
5 rue Legouvé, 75010 Paris
© Ernst Haas Estate / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris