Initiée aux Antilles, Rumbo Quanticum d’Eve Campestrini illustre un monde onirique où nature et corps s’enlacent dans une union passionnée. Une série picturale nous invitant à reconsidérer notre lien à l’environnement.
« Je me souviens d’une nuit au Cambodge. Le ressac des vagues créait des fractales sous la lumière de la lune, il y avait une atmosphère dingue et un désir profond de figer ce moment dans son entièreté. Que l’image, bien que plate, en appelle à tous les sens. » C’est en ces termes qu’Eve Campestrini se remémore son coup de foudre pour la photographie. Nourrie par ses nombreux voyages, l’artiste indépendante capture ses périples en Asie, en Amérique du Sud, en Europe pour parvenir à capturer l’essence des instants qui l’inspirent, la fragrance des souvenirs, de l’osmose entre les différentes particules du vivant. À l’argentique – un procédé qui résonne à merveille avec son besoin sensoriel et intuitif de créer – elle apprivoise « les accidents, les flous, le temps long, les éclats et la matière » pour mieux s’abandonner à la contemplation de ce qui s’offre à elle.
C’est aux Antilles qu’elle débute Rumbo Quanticum. Sans idée préconçue d’abord, si ce n’est un désir d’immortaliser la poésie des paysages, de faire dialoguer le corps avec la végétation dans un lieu à part, pour mieux s’abandonner. « Je souhaitais le sortir de son isolement, de l’idée que nous vivons dans un décor naturel qui serait uniquement un support à nos errances technologiques », précise-t-elle. Puis, en observant les premiers tirages, elle découvre une dimension réconfortante à ses créations, une retrouvaille avec « une sensibilité aux fréquences de notre matrice terrestre et du tout qui la compose ». D’une image à l’autre, le réel s’estompe, au profit de l’instinct, de l’imperceptible. Comme une mélodie sourde, s’élevant aux frontières de notre conscient pour mieux nous faire danser. L’idée lui vient alors de développer le projet, le déclinant en plusieurs chapitres, ancrés au cœur « de lieux puissants dans lesquels j’ai envie d’inviter des humain·es à venir jouer et sentir avec moi », confie la photographe.
Symbiose sensorielle et magnétisme onirique
Un arc-en-ciel sortant d’un bain de nuage, une cascade à l’eau pure, et ses gouttes qui coulent le long des corps enlacés, jusque dans les pétales des fleurs exotiques… Dans les images d’Eve Campestrini, la notion de temps s’estompe, la lumière de la lune comme celle du soleil se répondent pour révéler une douceur insoupçonnée, une langoureuse volupté. Au fil des clichés, les silhouettes s’étendent, s’enlacent, grisées par la splendeur de leur environnement. Il y a quelque chose de l’ordre du paradis dans les espaces que l’artiste capture. Un idéal luxuriant qui nous parait inaccessible. Et pourtant, c’est bien ce rapport viscéral entre l’humain et le végétal qui l’anime. « Je suis toujours curieuse de voir comme bouge un corps quand il est replacé au sein d’un territoire naturel. J’ai souvent la sensation que l’on habite son corps comme on habite le monde. Qu’il porte en lui une sagesse et une mémoire qui se rappellent toujours à nous quand nous laissons le mental envahir et prendre toute la place dans nos vies. La nature, quant à elle, n’a d’autre but que d’être en vie », explique Eve Campestrini. Un équilibre fragile qu’il nous faut nous aussi apprivoiser.
Alors, comme pour nous y encourager, l’autrice révèle des fragments d’êtres humains : les courbes, le grain de la peau, la tendresse d’une main qui caresse, dans une sensualité qui lui rappelle la beauté « sans artifice » de notre planète. Et si la nudité ponctue son œuvre, elle est ici synonyme d’une exaltation enfantine, naturelle, loin de toute sexualisation outrancière. « C’est intéressant d’observer comment les enfants vivent cette nudité, affirme-t-elle. Elle est simplement un état confortable, sans les entraves du vêtement. C’est notre monde adulte qui y appose un regard biaisé par le formatage social. Je préfère observer les corps de la même façon qu’une plante ou un environnement, au travers du dialogue avec la lumière, l’espace et les sens ».
Ainsi, dans Rumbo Quanticum, tout n’est qu’harmonie. Partout, les nuances se répondent, les regards se croisent, les feuilles effleurent les êtres qui les croisent. Une symbiose sensorielle au magnétisme onirique. Car ici, les aléas du réel importent peu, chassés par une félicité intense, un besoin de reconnexion impérieux. L’invisible devient plus remarquable que le concret, et l’imaginaire s’amuse à déconstruire les faits. Comme une utopie nécessaire nous (ré)apprenant à nous mouvoir dans un monde organique, enfin libéré·es des entraves de l’urbanité.