Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition

18 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
À la sortie de l'école dans un village de la côte, Nord Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Chargement de munition à bord d'un porte-avion américain, lors de la guerre du Vietnam
Chargement de munitions à bord du porte-avion USS Enterprise, mer de Chine, décembre 1966-janvier 1967 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet

Le musée Guimet des Arts asiatiques et l’association Les Amis de Marc Riboud s’unissent pour présenter l’exposition Marc Riboud – Photographies du Vietnam 1966-1976, visible jusqu’au 12 mai 2025. Ces clichés, issus du legs du photographe au musée, constituent un témoignage poignant et singulier de la guerre du Vietnam, cinquante ans après la fin du conflit.

Une fleur face à des baïonnettes. Hô Chi Minh autour d’une table, des veuves, des enfants sur le chemin de l’école. Entre 1966 et 1976, Marc Riboud, alors membre de l’agence Magnum, documente la vie durant la guerre du Vietnam. Des manifestations aux États-Unis aux terres du Nord-Vietnam, en passant par les villes meurtries, le photographe français va être le témoin d’une guerre civile mondialisée. Tandis qu’on célèbre le 50e anniversaire de la Paix, le musée Guimet des Arts asiatiques, en association avec les Amis de Marc Riboud, rend hommage à son travail empreint d’humanité. « Marc Riboud n’était pas reporter de guerre, précise Lorène Durret, co-commissaire de l’exposition Marc Riboud – Photographies du Vietnam 1966-1976, présentée jusqu’au 12 mai 2025. Ses photographies raisonnent tant par leur beauté que par leur portée historique. » Dans la rotonde de l’institut parisien, ses images dialoguent avec les articles qu’il a écrits pour Le Monde, ses lettres et même son Leica. « Il avait dépassé son travail de photographe, poursuit Lorène Durret. L’exposition contextualise son œuvre dans un ensemble vaste de reportages aux multiples angles. »

« Marc s’est toujours rangé du côté de celles et ceux qui souffraient et résistaient contre l’oppression, raconte Catherine Riboud-Chaine, la veuve du photographe. Il avait le regard extrêmement libre. » Fin 1966, il embarque à bord d’un porte-avion états-unien, l’USS Enterprise. Il documente les pilotes – qu’il qualifie « d’endoctrinés » – qui bombardent le Nord-Vietnam. L’année suivante, à Washington, il saisit une image qui restera gravée dans les mémoires : La Jeune Fille à la fleur. Alors que les villes américaines sont les cibles de manifestation pour la paix, Marc Riboud révèle la force du mouvement pacifiste à travers la photographie d’une jeune fille de 17 ans – Jan Rose Kasmir – qui brandit, face aux baïonnettes des forces de l’ordre, une fleur blanche. Ce symbole de paix, publié dans les journaux du monde entier, le mène par la suite à franchir la frontière vietnamienne et à parcourir le pays afin de rendre compte de l’impact des conflits sur la population.

Une jeune fille brandit une fleur face à une armée de baïonnettes
La Jeune Fille à la fleur, Manifestation contre la guerre au Vietnam, Washington, États-Unis, 1967 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Famille réfugiée dans une école à Hué, après la bataille du Tet, Sud Vietnam, 1968
Famille réfugiée dans une école à Hué, après la bataille du Tet, Sud-Vietnam, 1968 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet

Rendre compte d’une population meurtrie

« Marc Riboud avait un regard pacifique et tendre sur le Vietnam en plein conflit. Il délivre un beau témoignage du pouvoir de l’art qui transcende tout, y compris la violence de la guerre et ce qui l’organise », dévoile Yannick Lintz, présidente du musée. En décidant de se ranger aux côtés de la population vietnamienne, le photographe rend compte de la brutalité de la vie hors du front, au cœur des villes. Il rencontre les survivant·es de Huê, l’ancienne capitale impériale, tombée aux mains des communistes pendant deux mois, et violemment détruite par une centaine d’offensives. « Il marchait beaucoup, contrairement aux ministres dans leurs voitures, il était confronté aux gens, il sentait les gens », soutient Catherine Riboud-Chaine. Il s’attache à décrire les ruines et la détresse de cette population dans les articles publiés dans Le Monde. Puis à partir de 1968, il est autorisé à se rendre dans le Nord-Vietnam. « Il est l’un des rares photographes occidentaux ayant eu le droit de franchir le 17e parallèle. Tout de suite, dans son travail, il dépeint la vie quotidienne des habitant·es », explique Lorène Durret. Loin du front, il dresse le portrait de l’ennemi premier des États-Unis. Mais contre toute attente, cet ennemi est simplement composé de femmes, d’enfants et d’hommes se livrant à leurs occupations journalières : le travail dans les champs ou dans les usines, la vente à la sauvette dans la rue, la détente au bord d’un des lacs d’Hanoï, les jeux, etc. L’exposition met en exergue cette approche humaniste du traitement d’un conflit et rappelle l’importance « d’être du côté de faibles, surtout aujourd’hui », conclut Catherine Riboud-Chaine dans un élan d’espoir.

Discussion entre le président Hô Chi Minh et le Premier ministre Pham Van Dông, dans l'ancien palais du Gouverneur général français, Hanoï, Nord-Vietnam en 1968
Discussion entre le président Hô Chi Minh et le Premier ministre Pham Van Dông, dans l’ancien palais du Gouverneur général français, Hanoï, Nord-Vietnam, 1968 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Femmes en deuil après la mort de Ho Chi Minh, Nord Vietnam, 1969
Femmes en deuil après la mort de Hô Chi Minh, Nord-Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Femmes travaillant à mains nues pour dégager un canal embourbé, Nord Vietnam, 1969
Femmes travaillant à mains nues pour dégager un canal embourbé, Nord-Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Une fillette de dix ans vend des répliques miniatures d'avions MIG, Hanoi, Nord Vietnam, 1969
Une fillette de dix ans vend des répliques miniatures d’avions MIG, Hanoi, Nord-Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Enfants sur le chemin de l'école, portant d'épais gilets de paille pour se protéger des mines anti-personnelles, Nord Vietnam, 1969
Enfants sur le chemin de l’école, portant d’épais gilets de paille pour se protéger des mines anti-personnelles, Nord-Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
À lire aussi
Dans l'œil de Lorène Durret : Marc Riboud et la guerre du Vietnam loin du front
Un dimanche après-midi au bord du Petit Lac à Hanoï, Nord Vietnam, 1969 © Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Dans l’œil de Lorène Durret : Marc Riboud et la guerre du Vietnam loin du front
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Lorène Durret, co-commissaire de l’exposition Marc Riboud – Photographies du Vietnam 1966-1976…
10 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dinh Q. Lê entremêle les clichés pour tisser l'autre mémoire du Vietnam
Dinh Q. Lê entremêle les clichés pour tisser l’autre mémoire du Vietnam
Jusqu’au 20 novembre, le musée du quai Branly – Jacques Chirac revient sur la carrière de Dinh Q. Lê avec Le Fil de la mémoire et autres…
22 février 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
Ekaterina Perfilieva et l'intime au cœur de la fracture
© Ekaterina Perfilieva, Nocturnal Animals
Ekaterina Perfilieva et l’intime au cœur de la fracture
À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Milena III
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
Megapolis, Puteaux, 2025 © Aleksander Filippov
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
À l’occasion des 80 ans de la Libération, les ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique ont lancé...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Carmela, série Carmela © Emma Tholot
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Marina Viguier et Emma Tholot, nos coups de cœur de la semaine, explorent la théâtralité comme outil de résistance, de liberté et de...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
© Julie Wintrebert, Crazy Beaches, 2024 / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, pour la rentrée, les pages de Fisheye se mettent au rythme du photojournalisme, des expériences...
07 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Ekaterina Perfilieva et l'intime au cœur de la fracture
© Ekaterina Perfilieva, Nocturnal Animals
Ekaterina Perfilieva et l’intime au cœur de la fracture
À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Milena III
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
© Valérie Belin
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
L’heure des rencontres « 7 à 9 de Chanel » au Jeu de Paume a sonné. En cette rentrée, c’est au tour de Valérie Belin, quatrième invitée...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
© Sara Lepore / Instagram
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
La maison se fait à la fois abri du monde et porte vers le dehors, espace de l’intime et miroir de nos modes de vie. Les artistes de...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
5 coups de cœur qui témoignent d'un quotidien
I **** New York © Ludwig Favre
5 coups de cœur qui témoignent d’un quotidien
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
15 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet