Les Souvenirs des autres : le regard d’Akihiko Okamura sur le conflit nord-irlandais

08 août 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les Souvenirs des autres : le regard d’Akihiko Okamura sur le conflit nord-irlandais
Soldat au coin d’une rue, Derry, Irlande du Nord, vers 1969 © Estate of Akihiko Okamura
Photographie d'Akihiko Okamura montrant une rue d'Irlande.
Fountain Street, Derry, Irlande du Nord, vers 1969 © Estate of Akihiko Okamura

Lorsque le conflit nord-irlandais a éclaté en 1969, Akihiko Okamura venait de s’installer sur l’île avec sa famille. Attaché à ce pays et à son histoire, le photographe japonais a documenté cette période dans une approche singulière. Ce travail, longtemps resté méconnu, est désormais consigné dans Les Souvenirs des autres, un ouvrage publié aux éditions Atelier EXB. 

Un passant, journal en main, s’apprête à traverser à l’intersection de Fountain Street, à Derry. Son costume noir et le soleil déjà haut laissent à penser qu’il se rend au travail. Autour de lui, la ville semble paisible. Sur le pas de la porte des maisons, les bouteilles de lait, tout juste livrées, attendent d’être récupérées. Le gazouillis des oiseaux donne le rythme au linge qui se balance sur sa corde et embaume les jardins. Ces compositions étudiées, aux tonalités douces et lumineuses, si caractéristiques du Kodachrome, inspirent la sérénité. Nous pourrions nous croire en plein mois d’août, dans une ville désertée le temps d’un été. Pourtant, ces fragments se juxtaposent à un drame quand ils ne l’évoquent pas de manière détournée. Ces bouteilles en verre, immaculées, peuvent soudainement se transformer en armes, en cocktails Molotov. Nous sommes en Irlande du Nord, au tournant des années 1970, et la guerre civile vient d’éclater. C’est le début d’une période de violences et d’agitation politique qui durera près de trente ans.

Photographie d'Akihiko Okamura montrant une rue d'Irlande pendant le conflit.
Mémorial improvisé sur Lecky Road, Derry, 1971. L’endroit où Desmond Beattie (19 ans) a été abattu le 8 juillet 1971 par l’armée britannique. Quelque douze heures plus tard, Seamus Cusack (28 ans) a été tué non loin de là. Ce sont les premières personnes à avoir été assassinées par l’armée britannique à Derry. © Estate of Akihiko Okamura
Photographie d'Akihiko Okamura montrant des hommes pendant le conflit.
Préparatifs pour les célébrations du 12 juillet dans le quartier loyaliste, The Fountain, Derry, Irlande du Nord, vers 1969 © Estate of Akihiko Okamura

Un travail méconnu sur l’Irlande du Nord

Cet évènement coïncide également avec l’arrivée d’Akihiko Okamura dans ce pays dont il s’était épris un an plus tôt. Décidé à y poursuivre sa vie au calme, il venait d’y acheter une maison avec sa femme, prénommée Kakuko. Les années précédentes, le photographe japonais s’était illustré avec ses reportages réalisés aux prémices de la guerre du Vietnam, qui le marqua profondément. Certains médias, tels que Life Magzine, le comparaient alors à Robert Capa. Rattrapé par ce nouveau conflit dont il fut le témoin, il entreprit de l’immortaliser dans une approche personnelle. Au contraire des photojournalistes de l’époque, il utilisa notamment des pellicules en couleur pour rendre compte de « la permanence du quotidien dans l’impermanence de la guerre », comme le souligne Pauline Vermare, historienne de la photographie et directrice des Souvenirs des autres, première monographie française de l’auteur, publiée aux éditions Atelier EXB. 

Consacré à ce corpus méconnu d’Akihiko Okamura sur l’Irlande du Nord, l’ouvrage résulte de plusieurs années de recherche et de questionnements : « pourquoi un Japonais a-t-il fait le choix de s’installer en Irlande en plein conflit, et d’y fonder une famille ? Pourquoi s’est-il à ce point attaché à une histoire qui n’était pas la sienne, et aux souvenirs des autres ? Si le mystère fait aussi partie de la beauté de cette archive, quelques éléments nous aident à mieux comprendre le destin d’Okamura et la portée historique et contemporaine de son travail », relève Pauline Vermare en introduction. Au fil des 160 pages se découvre ainsi un ensemble produit « sans intention artistique », désormais encadré de quelques textes explicatifs. « Comme l’exprime le critique Seán O’Hagan dans le livre, ce sont aujourd’hui les photos les plus proches de ce que [les populations] ont ressenti [elles]-mêmes lors de cette guerre civile », assure-t-elle. Avec leurs plans simples, ces tirages témoignent dès lors avec d’autant plus de force et d’éloquence de la réalité d’un peuple aux visions divergentes, et s’imposent comme une autre façon de retracer l’histoire.

Atelier EXB
160 pages
75 photographies couleur
49 €
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