Il est des découvertes hasardeuses qui remuent des pans entiers du passé. À l’aide de traces photographiques, Fábio Miguel Roque est parti en quête de l’histoire nébuleuse de sa famille, afin de recréer sa propre mémoire, et comprendre son héritage. Origin en est le résultat émouvant.
À travers sa pratique photographique, Fábio Miguel Roque, artiste né et installé à Lisbonne, parle une langue qui peut être comprise de la plupart. Si l’on remarque dans son travail une dualité claire entre ses créations personnelles et documentaires, il considère avant toute chose qu’« il est important d’être en relation avec le monde qui nous entoure. » Explorant les notions de rêves, d’origine, de famille, de vie et de mort, d’inconnu et de nouveaux départs, le photographe traverse le vaste champ de l’intime, mais aussi les perceptions et les points de vue sur la vie en général. Présentée aux Rencontres de la Photographie d’Arles, Origin est une lancée à la découverte des archives de ses ancêtres. Comme s’il avait répondu à un appel du passé, tout commence lorsque le photographe tombe, par hasard, sur une boîte contenant une partie perdue et oubliée de l’histoire de sa famille. À l’aide de ces bribes – dont certaines parlent pour elles-mêmes, et d’autres demeurent cryptiques – il recompose alors les rites, les rêves et les émotions de ses ancêtres.
« Ma famille a dû faire face à de nombreuses difficultés dues à la dictature, aux guerres, à la faim et à leurs efforts pour trouver une vie meilleure hors du pays (le Portugal, NDLR) », révèle-t-il. Si l’on ne peut accéder à la totalité du passé par la simple trace physique ou le récit qui en est fait, alors il faut se contenter de l’imaginer. C’est pourquoi Fábio Miguel Roque capture lui-même les instants intemporels qui viennent enrichir et complexifier sa série. L’artiste transforme son propre passé familial en fiction, et nous invite à entrer nous-mêmes dans une démarche d’enquêteurice au cœur d’une histoire lointaine – qui pourtant résonne avec notre intimité propre. La photographie en noir et blanc, granuleuse, sombre et floue ou, au contraire, les filtres de couleur vive, confèrent aux visages et aux choses des allures de mythe ; de même que l’image abîmée devient un facteur d’inspiration pour l’auteur, qui « aime comprendre comment le temps ou la météo peuvent façonner les choses ». Difficile, à la vue de ces clichés, de ne pas ressentir une certaine nostalgie – qui nous vient d’on ne sait où.
L’arbre de vie
Nous sommes nombreux·ses à ne pas, ou peu, connaître l’histoire de nos ancêtres. Parce que certains démons sont tus par celleux qui en ont eu connaissance, parce que le temps a effacé les derniers vestiges présents dans les mémoires, parce que l’époque veut que l’on soit tourné·es vers l’avenir, plutôt que vers le passé. Fábio Miguel Roque retrace, à l’aide des images et des documents familiaux, les histoires à l’intérieur de l’histoire elle-même. Il tente de recomposer les hasards, heureux ou malheureux, qui ont façonné son héritage personnel. « J’ai eu trois oncles qui se sont battus au cours de la guerre portugaise outre-mer, dans trois parties différentes d’Afrique. L’un d’eux a été victime d’une embuscade terrible, et a perdu sa jambe ; il est aujourd’hui alcoolique. Mon grand-père a eu un accident de voiture, et a tué un célèbre torero par accident. Mon nom de famille est Roque uniquement parce que mon arrière-grand-père était ivre au moment de l’inscription de mon grand-père dans les registres », raconte-t-il.
L’auteur révèle, avec Origin, autant l’ancrage de ses ancêtres dans leur époque que leur modernité. À mesure que l’on grandit, les êtres qui ont peuplé notre enfance – ou rythmé les récits familiaux – nous apparaissent transformés. On comprend alors que chacun d’eux a fait partie intégrante d’un groupe, voire d’une lutte sociale. On réalise, également, combien le passé dure toujours. « Mon interaction photographique avec ma propre famille était quelque chose de nouveau pour moi, j’ai donc décidé de saisir cette occasion afin de partir à la découverte de mes origines. Après un certain temps, j’ai trouvé mon propre point de vue sur ces images et j’ai tenté d’y mettre un peu d’ordre », explique-t-il. L’arbre de vie, qui puise sa force au centre de la Terre grâce à ses racines profondes, est l’image biblique de l’expérience humaine, faite d’évolution et d’apprentissage. Symbole d’éternité, il devient la source de résistance face aux épreuves de l’existence, de paix et d’harmonie en soi-même. La photographie symbolise, pour Fábio Miguel Roque, le support qui l’aide à croître, encore et encore.
© Fábio Miguel Roque