Fasciné par une parade débutant en bas de chez lui, le photographe Daniel Ribar, venu de Détroit, la documente tous les ans. En résulte une mosaïque monochrome d’instants à l’épreuve de la logique et du temps.
Dans le ciel de Détroit s’étirent d’étranges formes. Des ballons gonflables gigantesques qui obscurcissent l’horizon et donnent à nos personnages favoris des airs cauchemardesques. Plus bas, sur le goudron, des milliers de pas résonnent au rythme des trompettes et des percussions de la fanfare. Les adolescent·es dans leurs costumes colorés avancent, emportant la joyeuse mélodie. Et les enfants crient, ravi·es, et les plus âgé·es observent, en retrait, la déambulation surréaliste qui s’étire sous leurs yeux. Partout, c’est la débandade, la légèreté. Les rires se marient aux instruments à vent. Les anonymes se confondent aux héros fictifs dans un joyeux désordre. Un pêle-mêle insolite que Daniel Ribar se plaît à documenter depuis deux ans.
C’est grâce à un Polaroïd, offert par sa grand-mère, que le photographe américain s’est tourné vers le médium. À l’époque, le boîtier lui permettait de documenter son quotidien, sa famille, ses ami·es. « L’instantanéité de mon appareil était fascinante. Puisque les pellicules étaient beaucoup moins cher à l’époque, je me permettais de m’amuser avec : je les découpais, dessinais dessus… », se souvient-il. Aujourd’hui, c’est avec un moyen format que l’auteur capture le monde. « Ça m’a permis de ralentir, en raison de l’aspect technique, mais aussi du prix d’impression. Ce fut très bénéfique : j’ai pu réévaluer ce que je voulais d’une photographie. Il m’arrive même de cadrer l’image et de ne pas la prendre. Ça fait du bien, cette prise de recul, dans un univers où tout va vite », précise-t-il. Et parmi ses sujets de prédilection, la parade de la ville de Détroit s’est imposée comme une évidence : « Elle commence juste en bas de chez moi, donc j’ai juste à descendre pour commencer à travailler », précise Daniel Ribar.
Mélange des genres
Privilégiant le noir et blanc « qui neutralise tout », le photographe se noie dans la foule, saisit les ballons tandis qu’ils passent au-dessus de lui ou qu’ils s’effondrent au sol, éventrés, fatigués. Il capte les passant·es comme les participant·es qui animent et haranguent depuis les chars, dans un savant mélange d’écriture documentaire et de scènes surréalistes. « Il y a un aspect assez traditionnel à cette parade, qui contraste avec des éléments plus étranges. Ces choses bizarres qui arrivent de manière fugace, les gens qui travaillent dans l’ombre, la grossièreté de certains designs… Il est toujours intéressant de voir les deux aspects de l’événement en simultané », confie Daniel Ribar.
Une dichotomie que l’on retrouve également dans l’aspect des protagonistes : ces adolescent·es accoutré·es d’uniformes classiques qui semblent disparaître sous leurs instruments, encore à moitié endormi·es des fêtes de la veille… « C’est une juxtaposition qui paraît imiter celle de la parade elle-même », remarque l’auteur. Véritable mélange des genres, Parade parvient à rendre compte de l’authenticité d’un tel événement. Au fil des clichés, l’artiste assume son rôle d’observateur, se fait oublier et capte des instants hors du temps, qui s’entrechoquent et composent le portrait non linéaire d’une fête ordinaire. « Il y a ces moments qui semblent venir d’une autre époque, ces enfants qui posent, ou ces femmes en manteaux de fourrure… et puis cette planète Terre géante qui tient un iPhone dernier cri dans sa main à quatre doigts ! », s’amuse-t-il. Un savant mélange permettant de dépeindre Détroit sous un nouveau jour, loin des enjeux sociétaux qui pèsent sur la ville du Michigan.
© Daniel Ribar