Avec leur livre Folk, voyage dans l’Angleterre réenchantée, le journaliste Thomas Andrei et le photographe Theo McInnes traversent les renaissances du druidisme. Entre dérèglement climatique et marasme sociétal, la balade est aussi l’occasion de réinventer une approche documentaire, un équilibre délicat entre nécessité visuelle et narration.
De Wilmington dominé par son géant dessiné sur le sol depuis l’âge de bronze jusqu’au festival de Stroud, petite ville de 10 000 habitant·es à l’ouest de l’Angleterre, en passant par Glastonbury, Mecque du druidisme anglo-celte, les deux auteurs ont multiplié les rencontres. Très vite les a priori tombent, les clichés disparaissent. « Ce sont des gens qui ne veulent pas être enfermés dans des cases. C’est très individuel, comme croyance, dans le bon sens du terme. Dave le barde (évoqué dans le premier chapitre du livre, ndlr) m’a raconté que si tu demandes à mille druide·sses ce qu’est le druidisme tu auras mille réponses différentes. Mais le but c’est d’être ensemble. Iels se traitent un peu toustes comme des enfants, comme des enfants qui ont souffert », explique Thomas Andrei, à l’origine du projet.
Rendre visible la magie
Plus qu’une foi, ou l’avènement d’une religion qui essaimerait partout en Europe, la photographie renseigne ici la pratique du culte. Une pratique aussi diverse que les collectifs qu’elle fait émerger. Alternent les portraits souvent en gros plan – détail des visages ou objets de rite – avec les paysages de collines où les participant·es se fondent dans un halo de mystère pré-chrétien.
Depuis 2019, et le début de leurs collaborations, Thomas Andrei et Théo McInnes se connaissent bien : ils travaillent à l’œil, à l’impression, de manière quasi symbiotique. Dans leurs projets pour Society ils montrent l’Angleterre au plus cru. « Ici, il s’agissait de faire du réalisme magique » précise le journaliste. Couleurs chaudes, clichés jaunis, théâtralité d’une pose ou du branchage impressionnant d’un arbre, les regardeur·ses plongent dans la subjectivité des participant·es. L’image capte l’exubérance tour à tour recueillie et festive du rite. Un trou paumé se transforme en légende, sacrée et en centre du monde, d’où la nouvelle saison jaillira. « Si tu vas au géant de Wilmington, en fait, c’est trente personnes en k-way, qui disent des trucs bizarres dans le vent ! Tout peut sembler terne. Mais il y a le mystère. À Glastonbury par exemple les mariées – morganes, morgènes en langue celtique – touchent le sol, en prennent l’énergie et la jettent vers le ciel. Tout d’un coup elles ont déchiré le rideau de cette morne soirée. Je ne m’attendais à rien, j’étais dans un champ, un terrain vague, et il y avait pourtant cette dimension de réenchantement. Il ne fallait pas l’exagérer, mais la retranscrire. Les participant·es sont très sensibles à cela, iels voient aussi le monde comme un grand jardin enchanté », constate l’auteur.
Redéfinir le populaire
Les cérémonies rythment ainsi le passage de l’année et s’inspirent de rituels celtiques. Mais de cette culture, on sait en réalité peu de choses, si ce n’est qu’elle englobait, dans l’antiquité, les îles anglo-celtes et la Gaulle tout entière. Et si le mot folklore a longtemps porté un héritage négatif, car désuet, voir inauthentique, il renvoie à la racine anglaise « folk » : le peuple. Or, c’est tout un peuple, au sens large qui se retrouve ici. Certes le public est des classes moyennes anglaises, blanc en majorité. Cependant il évolue à mesure que le mouvement touche les villes. « Il y a une salle à l’est de Londres qui célèbre tous les festivals de la roue de l’année (le calendrier celtique, ndlr). Il y a de grandes discussions sur la campagne anglaise qui serait raciste, que les gens qui ne sont pas blancs n’osent pas aller s’y balader. Or, quand le mouvement druidique arrive dans le milieu urbain, il y a davantage de non-blancs·ches qui y rentrent », explique le journaliste. Les druide·esses ont beau être parfois d’ancien·nes militaires (comme l’homme sur la couverture du livre), et se mêler aux descendant·es des hippies des années 1970 ayant fait leurs retours à la terre, iels n’en partagent pas moins les mêmes dégoûts et aspirations.
Une réaction à la modernité
« Le druidisme est une réaction à la modernité, mais au mauvais de la modernité : le capitalisme, la révolution industrielle. Iels disent qu’il faut retourner au mode ancien, au circuit court, au lien avec la terre qui a sectionné. Il s’agit aussi de revivre un peu comme dans un village (…) Ce sont des écolos », explique Thomas Andrei. La docteure Gail Marie Bradbrook, cofondatrice du mouvement Extinction rébellion, interviewée dans l’ouvrage, se définit par exemple comme une « sorcière » ayant trouvé la voie du paganisme. « Nous allons devoir survivre à l’effondrement et nous aurons des décisions difficiles à prendre. Pour ce faire nous aurons besoin de rituels. Il est crucial que l’on s’ancre dans la terre et que l’on se prépare à résister » assène-t-elle. Ouverte à toustes, y compris aux personnes queer, évitant l’écueil de l’emphase et non sans humour, le mouvement folk n’a donc de cesse de prendre de l’ampleur, prospérant là où la société de consommation s’essouffle : « pour moi ça n’est pas un livre sur le passé, mais un livre sur le futur » conclut, prophétique, Thomas Andrei.