Grâce à la photographie, des mannequins parviennent à se réapproprier leur image 

07 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Grâce à la photographie, des mannequins parviennent à se réapproprier leur image 
© Matilde Søes Rasmussen
vue d'une ville depuis une fenêtre
© Clémentine Balcaen

Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter les préoccupations de notre époque. Parmi les thématiques que nous abordons se trouve la mode, la créativité qu’elle suscite autant que ses dérives. Alors que la Fashion Week bat son plein, nous mettons en lumière Lisa Fonssagrives-Penn, Clémentine Balcaen et Matilde Søes Rasmussen. Toutes trois ont en commun d’avoir été mannequins et d’être parvenues à se réapproprier leur image par l’entremise du 8e art. Cet article s’inscrit dans la continuité de Fisheye #70, un numéro spécial mode.

Le métier de mannequin n’a eu de cesse d’évoluer au fil du temps. De nos jours, il n’est plus question de simplement présenter les vêtements, il s’agit de porter les récits que les maisons de mode souhaitent diffuser. Ce rôle tend alors à déposséder les figures qui officient dans ce milieu de leur image. Lasses de cette réalité, nombreuses sont celles à avoir entrepris une réappropriation de leurs contours dans les arènes publiques et numériques. Pour ce faire, la photographie s’est imposée comme un support tout trouvé leur permettant de véhiculer leur propre histoire, de tisser une narration qu’elles maîtrisent totalement. Dans des approches disparates et à des époques différentes, Lisa Fonssagrives-Penn, Clémentine Balcaen et Matilde Søes Rasmussen ont ainsi substitué leur statut de créatrice à part entière à celui de muse. Alors que la Fashion Week parisienne se poursuit, nous revenons sur leur parcours. 

Une volonté de s’affirmer

Le rôle des modèles dans la création d’une œuvre suscite souvent des interrogations. Si certaines relations peuvent entretenir le flou, d’autres, à l’inverse, témoignent plus clairement de l’influence que peut exercer une muse sur un artiste. C’est notamment le cas de Lisa Fonssagrives-Penn. Dès les années 1930, la mannequin a posé pour un certain nombre de grands noms du 8e art et a été publiée dans de prestigieux magazines de mode. Étant également photographe, danseuse, sculptrice et styliste, elle tenait à laisser sa marque en prenant part à l’élaboration des compositions. En parallèle, elle privilégiait les collaborations avec des talents alors émergents parmi lesquels se compte Frances McLaughlin-Gill, la première femme photographe en contrat avec Vogue. L’ensemble de ces choix traduisent déjà une volonté de s’affirmer en restant maître de son image.

© Matilde Søes Rasmussen
© Matilde Søes Rasmussen
Couverture de Fisheye Magazine #70 : Griffes
156 pages
7,50 €

Les coulisses du mannequinat

Les jeunes générations qui ont suivi ont souhaité s’inscrire dans ce sillage. En constatant que leur identité se dissipait au gré des campagnes et des défilés, Clémentine Balcaen et Matilde Søes Rasmussen ont ainsi décidé de quitter ce milieu. « Thank you bye était une envie de dire au revoir à la mode en le criant haut et fort à ma façon. C’est un adieu à un monde qui ne me correspondait pas du tout », explique la première. Au travers de cet ouvrage, l’ancienne mannequin donne à voir des instants en suspens, saisis çà et là dans les coulisses d’un univers qui la fascinait autrefois. L’ensemble des clichés aux couleurs vives forme alors un journal intime qui, par essence, laisse place à une narration à la première personne. « Je me sens libre de m’exprimer, d’être bizarre, moche… Je peux ne pas être toujours stylée, maquillée, coiffée… J’ai récupéré mon corps, je le possède à présent à 100 % et je peux en faire ce que je veux », assure-t-elle.

Matilde Søes Rasmussen observe un parcours similaire. Pendant treize années, la photographe et écrivaine a prêté ses traits à la mode. « Je trouve la notion de mannequinat fascinante. Les modèles sont perçus comme des figures qui suscitent l’admiration, et pourtant tout le monde les déteste. Ils sont à la fois ridiculisés et glorifiés, relève-t-elle. Si on réfléchit à leur fonction, on constate qu’ils sont finalement des corps que l’on vend : celui-ci devient alors un pur produit capitaliste. Nous plaçons des filles de 16 ans dans des pubs de marque. Qu’est-ce qu’elles sont censées représenter ? » Dans Unprofessional, elle se livre ainsi à ce qu’elle considère comme une performance. Cette dernière consiste à dépeindre le monde du mannequinat tel qu’il lui apparaît, évoquant aussi bien les castings, les shootings, les soirées en appartement que les moments précédant les défilés. Ses images sont réfléchies, minutieusement retravaillées et font preuve d’humour pour soulever la déshumanisation à laquelle ces jeunes adultes font face. « Je pense que le cynisme vient de mon désir de me présenter comme cette industrie me voit : je suis un produit pour une marque, un récipient vide. Et plus je le suis, mieux je peux porter ce que les gens me demandent de porter », souligne-t-elle. En prenant ce milieu singulier à son propre jeu, ces artistes proposent un récit alternatif, rarement dévoilé par les acteurs de la mode. S’immisçant dans la brèche, elles peuvent dès lors se réapproprier leur image. 

Rendez-vous par ici pour découvrir plus de sujets de notre dossier spécial mode. 

portrait d'une femme dans une douche
© Clémentine Balcaen
femme allongée sur le sol
© Clémentine Balcaen
À lire aussi
Les tirages de l’icône de mode Lisa Fonssagrives-Penn s’exposent à la MEP
Fernand Fonssagrives, Lisa Fonssagrives, « Élan », plage de Noirmoutier, France, 1935, Tirage gélatino-argentique. Collection MEP, Paris. Don de l’Archive Tom Penn © Estate of Fernand Fonssagrives
Les tirages de l’icône de mode Lisa Fonssagrives-Penn s’exposent à la MEP
Jusqu’au 26 mai 2024, la MEP accueille une exposition articulée autour de Lisa Fonssagrives-Penn. L’ensemble des tirages présentés a…
19 mars 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Thank you bye : démission en images du mannequinat
© Clémentine Balcaen
Thank you bye : démission en images du mannequinat
Ancienne mannequin, Clémentine Balcaen voit sa santé mentale décliner à mesure qu’elle multiplie les fashion weeks. Se tournant vers son…
18 septembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Focus #23 : Matilde Søes Rasmussen et la capitalisation des corps
Focus #23 : Matilde Søes Rasmussen et la capitalisation des corps
Comme tous les mercredis, voici le rendez-vous Focus de la semaine ! Aujourd’hui, lumière sur Matilde Søes Rasmussen, mannequin et…
05 octobre 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Émeline Amétis : la possibilité d’un geste
© Émeline Amétis, Oh murmure, ta traversée est le mât de notre vaisseau
Émeline Amétis : la possibilité d’un geste
Circulation(s) – le festival du collectif Fetart à la direction artistique entièrement féminine – fête ses quinze ans cette année...
26 avril 2025   •  
Écrit par Milena III
Kyotographie : cap sur Kyoto, où l’image devient territoire
© Mao Ishikawa
Kyotographie : cap sur Kyoto, où l’image devient territoire
Direction le Japon, plus précisément Kyoto, où le festival Kyotographie, fondé en 2013 par Lucille Reyboz et Yusuke Nakanishi, explore...
25 avril 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Fotografia Europea : l'âge des possibles, entre rêves et révoltes
© Vinca Petersen
Fotografia Europea : l’âge des possibles, entre rêves et révoltes
Jusqu'au 8 juin 2025, la ville de Reggio Emilia accueille la 20e édition de Fotografia Europea, un festival qui, cette année, se penche...
24 avril 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Kayla Connors : Ô monde réel
© Kayla Connors
Kayla Connors : Ô monde réel
Puisant son inspiration dans le cinéma, Kayla Connors s’empare des codes de la mode pour conter des histoires singulières, ancrées dans...
24 avril 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #541 : Julie Charbonnier et Melina Barberi
© Julie Charbonnier
Les coups de cœur #541 : Julie Charbonnier et Melina Barberi
Julie Charbonnier et Melina Barberi, nos coups de cœur de la semaine, nous plongent dans deux univers distincts. La première revient sur...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
© Thomas Amen
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye célèbrent la Terre. Dans des approches disparates, les photographes évoquent...
27 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Émeline Amétis : la possibilité d’un geste
© Émeline Amétis, Oh murmure, ta traversée est le mât de notre vaisseau
Émeline Amétis : la possibilité d’un geste
Circulation(s) – le festival du collectif Fetart à la direction artistique entièrement féminine – fête ses quinze ans cette année...
26 avril 2025   •  
Écrit par Milena III