Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter les préoccupations de notre époque. Parmi les thématiques que nous abordons se trouve la mode, la créativité qu’elle suscite autant que ses dérives. Alors que la Fashion Week bat son plein, nous mettons en lumière Lisa Fonssagrives-Penn, Clémentine Balcaen et Matilde Søes Rasmussen. Toutes trois ont en commun d’avoir été mannequins et d’être parvenues à se réapproprier leur image par l’entremise du 8e art. Cet article s’inscrit dans la continuité de Fisheye #70, un numéro spécial mode.
Le métier de mannequin n’a eu de cesse d’évoluer au fil du temps. De nos jours, il n’est plus question de simplement présenter les vêtements, il s’agit de porter les récits que les maisons de mode souhaitent diffuser. Ce rôle tend alors à déposséder les figures qui officient dans ce milieu de leur image. Lasses de cette réalité, nombreuses sont celles à avoir entrepris une réappropriation de leurs contours dans les arènes publiques et numériques. Pour ce faire, la photographie s’est imposée comme un support tout trouvé leur permettant de véhiculer leur propre histoire, de tisser une narration qu’elles maîtrisent totalement. Dans des approches disparates et à des époques différentes, Lisa Fonssagrives-Penn, Clémentine Balcaen et Matilde Søes Rasmussen ont ainsi substitué leur statut de créatrice à part entière à celui de muse. Alors que la Fashion Week parisienne se poursuit, nous revenons sur leur parcours.
Une volonté de s’affirmer
Le rôle des modèles dans la création d’une œuvre suscite souvent des interrogations. Si certaines relations peuvent entretenir le flou, d’autres, à l’inverse, témoignent plus clairement de l’influence que peut exercer une muse sur un artiste. C’est notamment le cas de Lisa Fonssagrives-Penn. Dès les années 1930, la mannequin a posé pour un certain nombre de grands noms du 8e art et a été publiée dans de prestigieux magazines de mode. Étant également photographe, danseuse, sculptrice et styliste, elle tenait à laisser sa marque en prenant part à l’élaboration des compositions. En parallèle, elle privilégiait les collaborations avec des talents alors émergents parmi lesquels se compte Frances McLaughlin-Gill, la première femme photographe en contrat avec Vogue. L’ensemble de ces choix traduisent déjà une volonté de s’affirmer en restant maître de son image.
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Les coulisses du mannequinat
Les jeunes générations qui ont suivi ont souhaité s’inscrire dans ce sillage. En constatant que leur identité se dissipait au gré des campagnes et des défilés, Clémentine Balcaen et Matilde Søes Rasmussen ont ainsi décidé de quitter ce milieu. « Thank you bye était une envie de dire au revoir à la mode en le criant haut et fort à ma façon. C’est un adieu à un monde qui ne me correspondait pas du tout », explique la première. Au travers de cet ouvrage, l’ancienne mannequin donne à voir des instants en suspens, saisis çà et là dans les coulisses d’un univers qui la fascinait autrefois. L’ensemble des clichés aux couleurs vives forme alors un journal intime qui, par essence, laisse place à une narration à la première personne. « Je me sens libre de m’exprimer, d’être bizarre, moche… Je peux ne pas être toujours stylée, maquillée, coiffée… J’ai récupéré mon corps, je le possède à présent à 100 % et je peux en faire ce que je veux », assure-t-elle.
Matilde Søes Rasmussen observe un parcours similaire. Pendant treize années, la photographe et écrivaine a prêté ses traits à la mode. « Je trouve la notion de mannequinat fascinante. Les modèles sont perçus comme des figures qui suscitent l’admiration, et pourtant tout le monde les déteste. Ils sont à la fois ridiculisés et glorifiés, relève-t-elle. Si on réfléchit à leur fonction, on constate qu’ils sont finalement des corps que l’on vend : celui-ci devient alors un pur produit capitaliste. Nous plaçons des filles de 16 ans dans des pubs de marque. Qu’est-ce qu’elles sont censées représenter ? » Dans Unprofessional, elle se livre ainsi à ce qu’elle considère comme une performance. Cette dernière consiste à dépeindre le monde du mannequinat tel qu’il lui apparaît, évoquant aussi bien les castings, les shootings, les soirées en appartement que les moments précédant les défilés. Ses images sont réfléchies, minutieusement retravaillées et font preuve d’humour pour soulever la déshumanisation à laquelle ces jeunes adultes font face. « Je pense que le cynisme vient de mon désir de me présenter comme cette industrie me voit : je suis un produit pour une marque, un récipient vide. Et plus je le suis, mieux je peux porter ce que les gens me demandent de porter », souligne-t-elle. En prenant ce milieu singulier à son propre jeu, ces artistes proposent un récit alternatif, rarement dévoilé par les acteurs de la mode. S’immisçant dans la brèche, elles peuvent dès lors se réapproprier leur image.
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