Avec Et après…, un ouvrage en collaboration avec le Centre régional de la photographie des Hauts de France, Henrike Stahl nous parle des autres, des liens que l’on tisse ou que l’on brise et des différentes strates qui nous composent.
Visages dévisagés, démultipliés par couches plurielles, corps désaccordés, emmêlés ou restructurés… En feuilletant l’ouvrage Et après… d’Henrike Stahl, collages et découpages révèlent les portraits de celles et ceux qui composent la région des Hauts de France. Invitée par le CRP et de l’H du Siège, un centre d’art contemporain à Valenciennes, dans le cadre du programme Delta – programme de médiation artistique entre les publics et leurs lieux de vies – l’artiste allemande a initié cette série dès juin 2022. Un projet en accord avec ses valeurs, rendant hommage à celleux qui composent « la marge, l’entre-deux ». Un sujet devenu langage artistique chez Henrike Stahl. « L’idée principale de ce projet était de travailler avec un groupe de participant·es de toutes les générations autour de l’image. J’ai répondu avec ce procédé de découpes que j’avais expérimenté avec mes enfants précédemment. Avec ce principe, on pouvait aborder les notions de mémoire et de souvenir tout en interrogeant la matérialité de l’image. » Commence alors une série de prises de vues, de collecte de clichés, d’archives, de découpes à plusieurs mains afin de mener à bien une installation grandeur nature, comme pour mettre en avant l’ampleur du travail. Les modèles ? Des séniors qui jouent au scrabble, des enfants, des punks… Un ensemble hétéroclite qui fait vivre la Fédération locale d’alternative culturelle (FLAC) : un tiers lieu à Marly près de Valenciennes. Afin de graver ces histoires dans le temps, l’idée d’un ouvrage apparaît alors naturellement.
Lié·es par nos différences
Donner une autre sensibilité aux portraits, une autre consistance aux visages, apporter de multiples textures aux corps… Dans le livre d’Henrike Stahl, les caractères se sentent grâce aux agrégats de matières, à la décomposition des formes. « Pour moi il est important aussi de sentir les photos, de leur donner un aspect plasticien. Mes tirages sont à taille humaine, et dans l’exposition ils dansent suspendus, ou sont apposés sur des tissus. Je veux que les gens aient l’impression de se retrouver devant quelque chose de vivant. Une photo n’est pas seulement un arrêt sur une seconde, c’est toute une vie », avoue-t-elle. Si par ajout de textures, Henrike Stahl complexifie les traits de personnalité, et rend parfois la lecture des modèles difficile, elle préserve l’intimité de ses sujets. Avec discrétion, elle nous incite à creuser derrière les couches, à ne plus nous fier aux apparences et à nous défaire des aprioris. Manon, Annick, Rayan, Léona, Micheal et Jannine… Les pages se tournent, les mains se tendent vers autrui et le livre s’incarne à mesure que les prénoms apparaissent. Il y a quelque chose qui nous relie tous·tes, nos différences forgent notre ressemblance. Et après… suggère la vie qui passe, les santés qui s’abîment, les cicatrices et blessures, mais aussi, et surtout nos rêves qui nous dépassent, qui nous enlacent et nous emportent vers l’avant. « Les mémoires de nos ainé·es sont pleines alors que celles des enfants sont en construction. Faire se rencontrer ces générations produit souvent quelque chose d’assez magique et de tellement enrichissant. Ce projet en est la preuve. Nos mémoires sont furtives, mais elles ne peuvent être vues hors contexte, on déplace un souvenir dans un autre endroit, il ne veut déjà plus dire la même chose », conclut Henrike Stahl à propos de son livre.
© Henrike Stahl