Dans Hilo, la photographe espagnole Rocío Bueno cherche à définir la figure de la mère. En croisant les médiums et les époques, elle questionne les notions d’héritage, de mémoire, et – bien sûr – de maternité.
Artiste visuelle installée à Madrid, Rocío Bueno s’est tournée vers la photographie pour trouver des réponses, alors qu’elle traversait une période compliquée. « De manière instinctive, j’ai dépoussiéré mon vieux reflex et j’ai commencé à jouer avec », se souvient-elle. Au fil de ses expérimentations, elle teste la portée du 8e art, sa faculté d’adaptation. Avec son boîtier, elle explore, s’exprime, communique ses émotions. « Le médium a complètement changé ma vie, confie-t-elle. A tel point que j’ai quitté mon emploi d’économiste pour me focaliser sur la création de mon monde visuel. » Depuis, Rocío Bueno développe un travail intime, guidé par ses propres ressentis. En croisant les médiums – couture, peinture ou encore collage – elle s’intéresse « à la psyché humaine, à la place des femmes, à leurs peurs et leurs conditions de vie, à la famille, à la mémoire et à sa relation à la culture et à la photographie ». Dans ses créations apparaît l’invisible et s’efface le tangible. Une manière « de découvrir les limites du médium face à l’expression et la construction du souvenir ».
Tenter de comprendre
Hilo
– « fil » en français – est née d’une réflexion autour de la figure de la mère, de la construction et des représentations de la maternité. Les femmes sont-elles toutes des mères en devenir ? Comment les comprendre ? Comment les imaginons-nous, les jugeons-nous ? « Je crois que des siècles de maternité ont conditionné notre vision de la maternité : nous ne voyons que la “bonne mère”. Nous copions, de manière inconsciente, des modèles, sans même savoir si nous les aimons. Nous sommes marquées par les absentes, les aimantes, les froides, les indifférentes et les tendres », explique l’artiste.
Inspirée par sa propre famille et son double statut de fille et de mère, Rocío Bueno propose, à travers Hilo, une réflexion sensible, métaphorique. Une tentative de saisir des nuances imperceptibles, de définir un rôle joué par une multitude d’actrices, avant qu’il ne soit trop tard. « J’ai une très mauvaise mémoire, et lorsque ma mère est décédée, il y a cinq ans, j’ai eu peur d’oublier son essence. Cette inquiétude est omniprésente dans mon œuvre », confie-t-elle. Photographies déchirées, modifiées, négatifs, doubles expositions, fils reliant le passé et le présent, des silhouettes séparées… L’artiste multiplie les expériences pour tenter de comprendre ce rôle, de concilier ses idéaux avec le réel, les fragments de sa propre jeunesse et celle qu’elle offre à son enfant. À la manière d’une petite fille « désassemblant ses jouets pour comprendre leur fonctionnement », elle compose un récit abstrait et anachronique.
Déconstruire pour mieux réinventer
Mais plus qu’une simple enquête, la série se lit comme une réflexion sur la pertinence de la photographie dans notre mémoire commune. « Je souhaite interroger la nature de la photo de famille, son rôle de gardienne de la mémoire. Je perçois la surface d’une image comme un espace fragile, dans lequel on ne peut observer que le passé. Derrière, pourtant, se trouve un territoire qu’il nous faut découvrir, et ressentir », commente Rocío Bueno. En utilisant la couture – fil rouge littéral comme figuré du récit – la photographe tente de faciliter l’accès à ce territoire privilégié. De rapprocher le passé de notre présente vision. Véritable fil d’Ariane, guidant nos pas à travers un labyrinthe, il se transforme en outil de connexion. « Sa couleur rouge évoque le sang, l’organique, le viscéral. Elle symbolise le sang, la force, mais aussi la mort et la souffrance », précise l’artiste.
Dans Hilo, clichés anciens, paysages brumeux, autoportraits et images contemporaines se croisent et se complètent. Une collection visant à croiser les regards des femmes de toute génération, et représenter la maternité comme un héritage immortel. Cousues ensemble, les différentes œuvres transmettent un savoir précieux, une connaissance propre aux femmes. En alternant regards et médiums, l’artiste devient tour à tour la protagoniste, la narratrice ou la simple observatrice de l’histoire. Une construction poétique analysant l’importance de la photographie dans notre savoir, tout en invitant le lecteur à déconstruire pour mieux réinventer, lui aussi, sa propre définition de la maternité.
Hilo, autoédité, entre 29€ et 39€, 80 p. Chaque ouvrage est relié à la main par Rocío Bueno. Vous pouvez le commander par mail à l’adresse : rociobuenoroyo@gmail.com.
© Rocío Bueno