« Icaro » : les états d’âme qui nous brûlent les ailes

28 avril 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Icaro » : les états d’âme qui nous brûlent les ailes

À la croisée des arts plastiques et de la photographie, Icaro, ouvrage d’Irene Zottola, propose une lecture contemporaine du célèbre mythe. Un conte visuel philosophique explorant notre connexion à la nature, notre ambition, nos désirs et nos peurs.

Emprisonné par Minos dans le labyrinthe qu’il a lui-même créé, l’ingénieur Dédale, accompagné de son fils Icare, cherche en vain un moyen de s’en échapper. Un matin, alors qu’il contemple le ciel, l’idée lui vient. Ramassant les plumes laissées au sol par les oiseaux, il les soude à la cire et les attache à ses bras et à ceux d’Icare, leur donnant ainsi la capacité de voler. Inquiet, il avertit néanmoins son fils avant de prendre son envol : il ne faut pas s’approcher de l’humidité de l’eau ni de la chaleur du soleil, sous peine d’en mourir. En pleine fuite, pourtant, face à la beauté de l’astre, Icare ne peut s’empêcher de grimper, toujours plus haut. En s’approchant trop près des rayons, la cire maintenant ses ailes fond et le précipite dans une chute vertigineuse au fond de la mer, qui prendra ensuite son nom. C’est ce mythe, connu de tous, qui a inspiré Icaro à Irene Zottola. Depuis l’enfance, la photographe et éducatrice sociale espagnole s’exprime à travers les arts. Dessin, peinture, cinéma, littérature… C’est finalement le monde de l’image qui lui offre l’introspection qu’elle recherche tant. « Ma relation au médium est née d’un besoin d’expression personnelle, confie-t-elle. D’une envie de narrer des moments très concrets de ma vie, de raconter des histoires à la manière de contes visuels, de retenir, grâce aux clichés ce que j’aime et ce qui me fait peur. La vie semble différente, à travers mon objectif. »

Fascinée par la chambre noire et l’expérience sensorielle qu’elle offre, l’autrice s’immerge dans sa lumière rouge, l’odeur des fixatifs, le contact du papier pour construire des projets plastiques aux thématiques universelles et à l’écriture intimiste.

© Irene Zottala

Qui n’a jamais rêvé de voler ?

C’est ainsi qu’est né Icaro. Travaillant avec l’émulsion liquide, Irene Zottola modèle avec ses mains des œuvres évoquant l’aquarelle. « J’aime que mes images aient un poids, un volume, des couches. Mes créations se développent de manière naturelle. L’image qui jaillit de l’émulsion m’évoque des mots, que je tape à la machine à écrire et que je colle sur l’image. C’est une sorte de puzzle que je construis au fur et à mesure sans savoir à quoi il ressemblera », raconte-t-elle. Dès 2017, l’artiste se passionne pour la photographie d’oiseaux morts, qu’elle trouve dans la rue, mais aussi pour les clichés de ciels et d’océans. « Il m’a fallu longtemps avant de réaliser que je capturais en fait leur montée et leur chute », confie-t-elle. Mais en comparant les tirages, la magie opère. Une fusion métaphorique convoquant Icare et sa trop grande curiosité.

En plongeant dans l’ouvrage d’Irene Zottola, des souvenirs d’anciennes encyclopédies illustrées refont surface. Comme un recueil savant retraçant l’existence éphémère des volatiles, des oisillons vulnérables dépendant de leur mère pour survivre, à leur mort inéluctable. Pourtant, de la douce poésie des pages jaillissent d’autres thématiques. Parmi elles, notre connexion à la nature, et le besoin de la dompter pour sans cesse s’élever. Mais aussi l’ambition humaine, nous poussant à risquer notre vie dans une recherche excessive du mieux, ou encore la volonté de se distancer de l’emprise parentale – comme Icare – au détriment, parfois, de notre bien-être. Car si les origines du mythe font écho à la Grèce antique, sa morale parvient à résonner de manière contemporaine. « Après tout, qui n’a jamais rêvé de voler ? », rappelle l’artiste. Face à ses diptyques savamment travaillés, il nous faut alors nous interroger. Que retenons-nous de cette fable ? Que nous évoquent ses animaux aux ailes brisées, leurs corps inertes épousant le goudron ? Comme pour nous aiguiller vers une réflexion plus profonde, Irene Zottola appose aux clichés morbides une présence humaine, celle d’Amelia Earheart, première femme aviatrice à traverser l’Atlantique, avant de disparaître en plein vol en 1937. Une manière de rappeler, à nouveau, que l’ascension vers un idéal fantasmé n’a d’égal que sa chute. « Ce travail témoigne de la relation de l’homme à lui-même et à son environnement. De ses angoisses et de ses désirs au sein d’une société labyrinthique », complète l’éducatrice et photographe, avant de conclure : « Mais c’est aussi un hommage à mes étudiants qui viennent de familles difficiles et qui se hissent néanmoins vers le haut, travaillant infatigablement pour réaliser leurs rêves ».

 

Icaro, Éditions Anómalas, 28€, 108 p.

© Irene Zottala

 

© Irene Zottala© Irene Zottala

 

© Irene Zottala

 

© Irene Zottala

 

© Irene Zottala

 

© Irene Zottala© Irene Zottala

 

© Irene Zottala

© Irene Zottala

Explorez
Alecio Ferrari : natures artificielles
© Alecio Ferrari
Alecio Ferrari : natures artificielles
Opposant la beauté d’éléments naturels aux objets de nos consommations capitalistes, Alecio Ferrari explore la complexité du vivant, et...
06 décembre 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
Prix Swiss Life à 4 mains : découvrez les lauréat·es de la 6e édition ! 
© Kourtney Roy
Prix Swiss Life à 4 mains : découvrez les lauréat·es de la 6e édition ! 
Lundi 4 décembre, la fondation Swiss Life a dévoilé les noms du duo gagnant de son prix consacré à la photographie et à la musique. Et ce...
05 décembre 2023   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Poker Face : le puzzle de Kensuke Koike qui fait tourner les têtes
© Kensuke Koike / Silvermine
Poker Face : le puzzle de Kensuke Koike qui fait tourner les têtes
Publié par les éditions Silvermine, Poker Face prend la forme d’un puzzle créatif aussi curieux que fascinant. Conçu par l’artiste...
02 décembre 2023   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nicolas Fontas ou la force du mouvement
© Nicolas Fontas
Nicolas Fontas ou la force du mouvement
Visages déformés, silhouettes sibyllines, scènes irréelles… Les tableaux au superbe flou perpétuel de Nicolas Fontas donnent vie et forme...
01 décembre 2023   •  
Écrit par Milena Ill
Nos derniers articles
Voir tous les articles
An Old Tale : Siouzie Albiach saisit une nature personnifiée
© Siouzie Albiach
An Old Tale : Siouzie Albiach saisit une nature personnifiée
À travers An Old Tale, Siouzie Albiach nous emporte dans un voyage mystique au cœur de territoires intimes. Un périple nourri par...
À l'instant   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Antoine Martin dresse un portrait de Miami en clair-obscur
© Antoine Martin
Antoine Martin dresse un portrait de Miami en clair-obscur
Extravagante et haute en couleur, Miami Beach s’impose comme une destination de rêve. Plages de sable fin, boîtes de nuit, strass et...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Un documentaire inédit sur Fred Stein bientôt diffusé au Lavoir Numérique
© Fred Stein Archive
Un documentaire inédit sur Fred Stein bientôt diffusé au Lavoir Numérique
À l’occasion de son cycle documentaire consacré à l’œuvre « photo-biographique », le Lavoir Numérique organise une projection de...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Focus #67 : Devin Yalkin capture un bal vampirique sulfureux
06:40
© Fisheye Magazine
Focus #67 : Devin Yalkin capture un bal vampirique sulfureux
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Cette semaine, Devin Yalkin s’immisce dans un bal vampirique des temps modernes et rend hommage à...
06 décembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas