La photographe française Marina Gadonneix s’intéresse aux représentations du réel. Dans Phénomènes, un projet exposé aux Rencontres d’Arles, elle capture des merveilles naturelles – avalanches, trous noirs ou encore ouragans – étudiées dans les laboratoires du monde entier. Entretien.
Fisheye : Comment es-tu devenue photographe ?
Marina Gadonneix : La photographie m’a toujours intéressée, mais lorsque j’étais jeune je n’étais pas sûre de vouloir en faire ma carrière. J’ai finalement suivi un cursus dans une école d’art, et j’ai réalisé que je voulais devenir photographe. Diplômée en 2002, je me suis lancée dans mes recherches. J’ai ensuite eu la chance de gagner le Prix HSBC en 2006, grâce à une série intitulée Remote Control, qui représentait des plateaux télévisés éteints et vides.
Quels thèmes affectionnes-tu particulièrement ?
Si mon approche est souvent minimaliste ou conceptuelle, elle part toujours du réel, de ses représentations et de ses dispositifs. C’est le fil rouge de ma création. Je me suis d’abord intéressée à la disparition du décor, dans Landscapes, où j’ai capturé des studios verts et bleus (dans lesquels on tourne par exemple des émissions météo) : ce sont des lieux qui n’existent que pour être effacés par d’autres images. Dans Après l’image, j’ai suivi des photographes qui shootaient des œuvres d’art, et je capturais leur dispositif lorsque la séance était terminée. Je m’interroge toujours : comment fabrique-t-on une image ? Comme la manipule-ton ? Finalement, tout peut être relié à la notion de laboratoire. D’autant plus pour ma série Phénomènes, puisque elle a été capturée dans ces lieux de recherche, justement.
Comment as-tu eu l’idée de travailler sur un tel sujet ?
Juste avant Phénomènes, je m’intéressais à la mise en scène de la catastrophe. J’ai par exemple suivi des pompiers qui s’entraînaient au sein d’une maison dans laquelle ils allumaient des feux à volonté. Les meubles étaient construits avec des matériaux indestructibles.
J’ai ensuite découvert un laboratoire qui s’intéressait aux avalanches et en reproduisait à petite échelle. Cette révélation m’a donné l’idée de me servir de ces phénomènes pour inviter le mystérieux et l’énigmatique dans mon projet. J’ai commencé à établir une « constellation » de mots : volcans, aurores boréales, avalanches, tornades, tsunamis etc. et j’ai cherché des laboratoires qui reproduisaient ces phénomènes.
Enfin, j’ai découvert une photographie d’un physicien norvégien, Kristian Birkeland, datant du début du 20e siècle, qui avait reproduit une aurore boréale dans son laboratoire. Cela m’a considérablement inspiré.
Comment s’est passée la prise de contact avec les laboratoires ?
J’ai eu la chance d’obtenir une résidence au CNES (Centre national d’études spatiales), qui m’a ouvert la porte de certains endroits. J’ai commencé toute seule à voyager partout en France, et même en Angleterre. J’ai ensuite reçu la bourse « hors les murs » de l’Institut français, qui m’a permis de partir deux mois aux États-Unis et de visiter beaucoup de laboratoires américains. Les chercheurs là-bas étaient très réactifs et il n’était pas très difficile d’entrer dans leurs lieux de travail. Tous m’ont accueillie avec grand plaisir.
Mars yard
Une anecdote à partager, de ces voyages ?
En Angleterre, j’ai photographié un « sol martien ». Il s’agissait d’une grande salle, dans laquelle 300 tonnes de sables avaient été versées. Les murs étaient peints de dégradés de rouge et de beige pour recréer les couleurs de Mars. Cet espace avait été aménagé pour entraîner un robot à avancer sur le sol de la planète rouge. Naturellement, je me suis demandée ce qu’ils allaient faire de cet endroit, une fois le robot envoyé dans l’espace. J’ai appris que le lieu devait ensuite être loué au cinéma, pour servir de décor à des films de science-fiction.
Comment les images ont-elles été réalisées ?
Je n’ai jamais rien créé. Je m’intéressais davantage aux phénomènes en eux-mêmes. Mais j’ai joué avec les échelles : du petit (perçu comme un objet de vulgarisation) à l’immense. J’ai capturé la plus grande chambre à vide de la NASA, où les chercheurs étudient comment les satellites réagissent dans l’espace. Dans l’une des pièces, on pouvait reproduire la force et l’intensité de 1 à 300 soleils !
Les échanges avec les chercheurs t’ont-ils aidé ?
Les échanges avec les chercheurs étaient passionnants. Nous avions un rapport similaire à la création : parfois les erreurs apportent un résultat inattendu. De temps à autre, j’avais une image en tête que je ne pouvais reproduire. J’ai par exemple photographié un ouragan en Floride. Les scientifiques ont soumis une petite cabane à un ouragan puissance 5/6. Je ne pouvais évidemment par rester dans la pièce, et j’ai shooté les écrans de contrôle. Au bout de trente secondes, la maison a explosé, et finalement, j’ai trouvé ces vues d’écrans très belles.
Un petit mot quant à la scénographie de l’exposition ?
J’ai fait appel à Béatrice Gross, la commissaire de l’exposition, avec qui j’avais déjà travaillé, et elle m’a présentée à Cécile Degos, une scénographe fantastique qui a imaginé un dégradé le long des murs, inspiré du cyanomètre. Il s’agit d’un outil inventé par un physicien du 20e siècle, qui reprend toutes les nuances du ciel, de la nuit sombre au presque blanc. Également alpiniste, il montait en haut du Mont Blanc et mesurait le bleu des cieux. Nous avons donc repris cette charte de couleurs pour créer le dégradé.
D’où viennent les textes, accompagnant les images ?
Ce sont des textes écrits avec les chercheurs que j’ai rencontrés. Je les ai ensuite réécrits puis fait homogénéiser. La couleur choisie pour ces textes est un autre clin d’œil intéressant : le fruit de l’interrogation de deux chercheurs américains, quelle est la couleur moyenne de l’univers ? Ils ont placé un échantillon de 200 000 galaxies dans un cube virtuel, et ont découvert que cette couleur serait un beige, appelé cosmic latte. C’est celle des cartels de l’exposition.
Tornado
Waves
à g. Avalanche, à d. Northern lights
Wilfdire
à g. 300 soleils, à d. Northern lights
Volcanic eruption
Lightning
© Marina Gadonneix