Portrait de ville ? C’est ce que semble indiquer le titre, énigmatique, Six Degrees of Copenhagen. Depuis 2011, le Danois Jens Juul s’est consacré à photographier des individus, de tous sexes et de tous âges, dans sa ville, Copenhague. Cet article, signé Christian Caujolle, est à retrouver dans notre dernier numéro.
Généralement seuls, parfois à deux, le second pouvant être un animal. Jens Juul a inventé un titre qui se fonde sur la théorie, développée dans les années 1930 par l’écrivain, philosophe et poète hongrois Frigyes Karinthy selon laquelle il suffirait de cinq intermédiaires pour que deux personnes soient mises en relation. Reprise et développée par le psychologue social américain Stanley Milgram, cette analyse a aidé le photographe à imaginer un dispositif combinant surprise, liberté, et rigueur.
Le photographe aborde ainsi dans la rue, un lieu public, ou un café, une personne qui l’attire ou l’intrigue. Il a envie d’en savoir davantage, se fait suffisamment convaincant pour photographier la personne chez elle, et lui demande de le mettre en relation avec une de ses connaissances pour continuer son enquête. Un travail intense de rencontres, qui durent quelques instants ou plusieurs heures, et aboutiront à chaque fois à la sélection d’une seule image. « Je crois sincèrement que ce qui me rend capable de prendre les photos que je fais, c’est ma capacité – et surtout mon désir ! – de parler, de poser des questions, et d’écouter beaucoup. Rencontrer des gens que je ne connais pas et apprendre à raconter généreusement leur histoire, leur vécu, me touche vraiment. »
Faits de chair, de peau et de poils
Les photographies sont directes, cadrées au scalpel, tranchant dans les corps, les visages, associant bêtes et humains, rappelant l’animalité de l’homme. Contrastées, ne dissimulant rien, terriblement nettes sous l’effet du flash et de tirages implacables, elles ne trichent pas. Elles donnent à voir. Elles obligent à voir que nous sommes faits de chair, de peau et de poils. La nudité n’est en rien séduction – juste nécessité d’acceptation –, elle n’est pas érotique : elle est. Restent des regards, des mains, des gestes esquissés ou appuyés, des chats. De la plénitude des jeunes corps aux flétrissures des épidermes distendus s’impose non une description, mais un état des corps. On imagine l’intensité des rencontres qui doivent être simples. « Vous leur posez des questions, ils vous préparent une tasse de thé. Moi, je suis un touriste dans leur vie », résume le photographe. Un touriste dont les photos souvenirs, à l’intensité noire, nous renvoient non pas à une tradition de la photographie documentaire humaniste et sociale, mais à un questionnement plus profond de la nature humaine et du sens – il y a là un choix éthique, de philosophe – de cette humanité. Comme un écho au voisin suédois Ingmar Bergman « dont le génie cinématographique explique si clairement le désespoir de la vie, la confusion, et finalement l’humanisme existentiel sombre (mais beau) », comme le dit notre explorateur de Copenhague (…)
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #43, en kiosque et disponible ici.
© Jens Juul