Jouer à la guerre

14 avril 2020   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Jouer à la guerre

Fasciné par la notion de masculinité, Simon Lehner s’est lié à un groupe de joueurs participant à des simulations de guerres hyper réalistes. Entre documentaire et fiction, Men don’t play / Men do play se lit comme un essai sur l’homme, son désir de puissance, et sa vulnérabilité.

« Dès l’enfance, j’ai remis en question les visions idéalisées de la figure masculine représentées à la télévision ou dans les magazines. Ayant grandi sans père, je n’ai jamais su si les hommes pouvaient ressentir la vulnérabilité et les émotions que j’éprouvais »

, confie Simon Lehner. Après avoir construit une série autour de l’absence paternelle, le jeune photographe s’est intéressé à l’hypermasculinité, à travers Men don’t play / Men do play. Une immersion dans un monde étrange, où fiction et réalité s’entrelacent. Débuté alors que l’auteur n’avait que 17 ans, le projet a évolué, pendant quatre ans, faisant le portrait d’un groupe d’hommes fasciné par la guerre et la violence.

De 2015 à 2019, l’auteur a appris à connaître d’étranges soldats, se battant sur des zones de guerres simulées – construites pour être ultra réalistes et imiter les réalités des conflits en Irak ou en Afghanistan. « Dès ma première immersion dans cet univers, j’ai fait face à une masculinité exacerbée : les tests de bravoure, les compétitions physiques… Mais après un certain nombre d’heures, cette façade se craquelle et la fragilité apparaît, tandis que la peur, les blessures et la tendresse envahissent le champ de bataille », raconte-t-il.

© Simon Lehner© Simon Lehner

Au cœur des simulations

Il a fallu plus d’un an et demi au photographe pour réussir à intégrer l’un de ces groupes de joueurs. Des heures d’échanges sur des forums à gagner leur confiance avant d’être affilié à un régiment. Si Simon Lehner n’a jamais pris d’armes sur le terrain, il a vécu l’urgence de la guerre en endossant le rôle de « photojournaliste », couvrant le conflit aux côtés des combattants, une veste en kevlar pour le protéger. Car dans ces simulations, le réalisme est primordial. Les participants jouent leur rôle à la perfection, et se donnent corps et âmes au projet. « Les simulations ont lieu le week-end la plupart du temps : 50 heures sans sommeil, en pleine guerre, avec des fausses armes et des balles en plastique. Chaque expérience peut atteindre 1500 participants, et contenir des tanks, des hélicoptères et même des ceintures explosives ! Les soldats développent de véritables tactiques et feignent la mort. L’expérience est épuisante. Il est impossible de se reposer face au raffut des grenades qui tombent et de la propagande des troupes arabes crachées par des haut-parleurs », raconte Simon Lehner.

Avec une poésie déconcertante, l’artiste capture le chaos, la violence, mais aussi la douceur et les moments d’abandon, lorsque le corps lâche et la virilité s’efface. Un entre-deux surréaliste, d’une grâce insoupçonnée. Des simulations 3D, empruntées à l’esthétique des jeux vidéo, complètent Men don’t play / Men do play. Une manière pour l’artiste d’interroger le caractère réaliste du médium. « Au cœur des simulations, seule notre intuition nous guide, et on se surprend à croire ce que l’on voit. La série est construite de la même façon, je veux que le regardeur prenne ma place sur le champ de bataille, qu’il tente lui-même de départager la fiction du réel », précise-t-il. Et, au milieu des bombes et des coups de feu, sa vision de la masculinité s’impose à nous : extrême, imparfaite, complexe et touchante.

© Simon Lehner© Simon Lehner
© Simon Lehner© Simon Lehner
© Simon Lehner© Simon Lehner

© Simon Lehner

© Simon Lehner© Simon Lehner
© Simon Lehner© Simon Lehner
© Simon Lehner© Simon Lehner

© Simon Lehner

Explorez
Yves Samuel : Objets en résistance
© Yves Samuel courtesy CLAIRbyKhan
Yves Samuel : Objets en résistance
Dix ans après les attentats perpétrés à Paris en novembre 2015, le photographe Yves Samuel publie aux Éditions Fisheye un livre tout en...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
OPPO x Fisheye : les visions parisiennes d’Emma Birski et Marvin Bonheur 
© Emma Birski
OPPO x Fisheye : les visions parisiennes d’Emma Birski et Marvin Bonheur 
Les 17 et 18 novembre, la Fisheye Gallery accueille l’exposition Paris Non Stop, curaté par Ernicreative et Fisheye, née de la rencontre...
12 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Sandra Eleta, les visages du monde invisible
© Sandra Eleta
Sandra Eleta, les visages du monde invisible
À la Galerie Rouge, jusqu'au 6 décembre 2025, l’exposition de Sandra Eleta révèle un univers où la photographie dépasse le simple...
12 novembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
28 artistes à (re)découvrir à Paris Photo 2025
Liulitun, Beijing 2002 No.13 © RongRong & inri
28 artistes à (re)découvrir à Paris Photo 2025
La foire internationale Paris Photo investit le Grand Palais du 13 au 16 novembre 2025. Pour cette occasion, la rédaction de Fisheye vous...
11 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Paris Photo 2025 : atteindre sa montagne intérieure avec Suwon Lee
© Suwon Lee, Pico Bolívar I, 2025 / Courtesy of Sorondo Projects
Paris Photo 2025 : atteindre sa montagne intérieure avec Suwon Lee
Présentée cette année par Sorondo Projects (Barcelone) à Paris Photo, la série The Sacred Mountain de Suwon Lee raconte une quête...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Milena III
Yves Samuel : Objets en résistance
© Yves Samuel courtesy CLAIRbyKhan
Yves Samuel : Objets en résistance
Dix ans après les attentats perpétrés à Paris en novembre 2015, le photographe Yves Samuel publie aux Éditions Fisheye un livre tout en...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
La précieuse fragilité selon le festival FLOW#1
Les Fossiles du futur, Synesthésies océaniques © Laure Winants, Fondation Tara Océan
La précieuse fragilité selon le festival FLOW#1
Du 20 septembre au 30 octobre 2025 s’est tenue la première édition de FLOW, un parcours culturel ambitieux imaginé par The Eyes...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Une fable collective au cœur du béton, par Alexandre Silberman
© Alexandre Silberman, Nature
Une fable collective au cœur du béton, par Alexandre Silberman
Exposée à la galerie Madé, dans le cadre de PhotoSaintGermain, jusqu’au 30 novembre 2025, la série NATURE d'Alexandre Silberman...
12 novembre 2025   •  
Écrit par Milena III