Récit intime ancré dans les paysages froids de Sisimiut au Groenland, Keepers of the Ocean, livre d’Inuuteq Storch publié aux Éditions Disko Bay, devient le théâtre d’une quête d’identité à la fois personnelle et communautaire.
Une route déserte sous la lumière crépusculaire, les miettes d’un repas entre ami·es, une tempête de neige, une étreinte amoureuse alors que les murmures de la fête s’estompent… La photographie d’Inuuteq Storch marque au fer blanc des instants infimes, fige à coup de flash des moments ordinaires, des échanges fugaces, des visions de passage. Avec une authenticité troublante, il capture le vrai, le familier, sans la moindre mise en scène ni la moindre sublimation. Dans ses clichés, la vie, la sienne, brille par son insouciance et son éclat. Une existence à l’épreuve du drame.
Depuis le lycée, l’auteur de 33 ans originaire de Sisimiut au Groenland, documente son environnement et son entourage à l’aide de son boîtier. « Mon approche artistique est rythmée par deux ingrédients : la recherche d’identité et l’expérimentation. Je les associe ensuite à d’autres éléments, ce qui me permet de conserver une certaine flexibilité », commente-t-il. Des thématiques universelles qui donnent naissance à Keepers of the ocean, un ouvrage devenu condensé de souvenirs marquant les chapitres du monde d’Inuuteq Storch. « À un moment, j’ai découvert que je pouvais prendre note de qui j’étais grâce au 8e art. Ce livre est donc la carte de ce moi, et de ma ville de naissance », ajoute-t-il.
Une recherche de bonheur et de singularité
Nuits enflammées, journées éclairées par une lueur romantique, fantômes de soirées arrosées, et promenades dans une nature sauvage condamnée à s’enfuir… Keepers of the ocean se fait le récit d’une génération en recherche de sens. « Je viens de cet endroit, et en tant que lieu (post)colonial − l’emploi des parenthèses est extrêmement important parce que la présence coloniale existe justement toujours – il lui faut se réapproprier son identité. Nous faisons les choses à notre manière, nous vivons entre modernité et tradition », déclare le photographe. À Sisimiut, les activités sont rares, et les habitudes s’ancrent facilement. Les journées se fondent les unes dans les autres, au rythme de l’amour et de ses péripéties, des caprices de la nature, de ceux qui s’accompagnent sur des décennies – puisque là-bas, au sein de ce territoire isolé, les amitiés s’unissent à jamais. Et si l’urgence environnementale n’emplit pas les pages de l’ouvrage, sa présence se devine néanmoins dans la splendeur des paysages, la violence des intempéries, la végétation verdoyante qui prend le pas, toujours plus, sur le bleu froid des glaciers.
Véritable carnet intime permettant de contrer les aléas de la mémoire, Keepers of the ocean s’élève comme une histoire aux voix multiples. Un chœur jeune, plein de fougue et de folie relatant un ordinaire agréable, une recherche de bonheur et de singularité dans un espace en construction. « Au sein des images se croisent les relations humaines, les intérieurs des maisons, la vie nocturne, le quotidien, les émotions, les langues, les couleurs, l’honnêteté, et l’environnement », énumère Inuuteq Storch. Autant de pistes de lectures qui nous invitent à contempler, à nous abreuver en tissant des connexions. Comme si la mosaïque présentée composait le portrait nuancé d’une communauté avide de définition(s).
Keepers of the ocean, Éditions Disko Bay, 48€, 192 p.
© Inuuteq Storch