Laia Gutiérrez : l’appel de l’inconnu

11 mars 2016   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Laia Gutiérrez : l'appel de l'inconnu
Laia Gutiérrez est une photographe catalane qui, lorsqu’elle a découvert l’Islande, a développé dans son travail une réflexion autour de l’identité, la migration et le sentiment d’être étranger à un endroit inconnu. C’est ainsi qu’est née sa série “Zugunruhe”, un mot étrange pour dire l’agitation de l’acte migratoire. Entretien.

Fisheye : Pourquoi es-tu devenue photographe ?

Laia Gutiérrez : J’aime m’approprier les endroits où je me trouve, redécouvrir encore et encore les paysages, les personnages de ma ville natale [Torelló, près de Barcelone] ou me perdre dans les villes qui me sont étrangères. Je suis aussi fascinée par le cinéma depuis toute petite. Plonger dans un autre monde éloigné de la réalité… Je suis très attirée par les fictions et la manière dont elles sont construites et les atmosphères magiques, mystérieuses, surréalistes. Inconsciemment, je me suis mise à reproduire ce par quoi j’étais attirée, en photographiant des lieux évocateurs d’un monde où je pourrais me plonger. Je pense enfin qu’absolument tout peut être photographié. Mais la manière dont nous utilisons nos expériences et nos sensibilités pour faire une image fait toute la différence.

Où se déroule Zugunruhe ? Comment tu t’es sentie là-bas ?

Cette série est née et se déroule en Islande. La richesse des paysages m’a inspirée. Je travaille à l’intuition, donc ce travail est aussi le fruit de mes expériences personnelles dans ce pays. Quand tu te retrouves face à ces incroyables paysages, tu te laisses facilement submerger et remplir par tout un tas d’idées et d’émotions. Là-bas, je me suis sentie comme la plus petite des créatures mise à l’épreuve par un paysage exaltant à explorer.

laia-gutierrez-fisheyelemag_DSC1198laia-gutierrez-fisheyelemag_DSC8210laia-gutierrez-fisheyelemag_DSC9003laia-gutierrez-fisheyelemag_DSC9610laia-gutierrez-fisheyelemag_DSC9851laia-gutierrez-fisheyelemag_DSC9885laia-gutierrez-fisheyelemag_DSC9945laia-gutierrez-fisheyelemag01laia-gutierrez-fisheyelemag02laia-gutierrez-fisheyelemag03laia-gutierrez-fisheyelemag04laia-gutierrez-fisheyelemagcylla2laia-gutierrez-fisheyelemagdetilaia-gutierrez-fisheyelemagice02

Quelle était ton intention lorsque tu t’es lancée dans la réalisation de ce travail ?

Je suis justement allée en Islande pour réaliser un projet photographique. J’étais en résidence, ce qui m’a permis d’explorer le pays et de définir les contours d’une série. J’ai construit mon travail dans un endroit où les gris sont très sombres et où les tensions émergent d’un calme latent. J’essaye toujours de faire émerger ce qui se cache en-deçà des choses. J’imagine que lorsqu’on est plongé dans un procédé artistique, la créativité mène à des endroits magnifiques et inattendus où l’on ressent juste le besoin d’aller plus loin.

Zugunruhe évoque la notion d’ailleurs. Qu’est-ce que cela signifie pour toi ?

Pour moi il ne s’agit pas seulement d’un endroit, mais d’une relation entre un individu et un environnement. Cette série est un plongeon dans un monde d’exploration où l’identité se forge dans l’acte de déplacement, de migration. Il y a une forme d’impatience là-dessous. Être sans attaches, sans maison, la redécouverte constante d’un territoire hostile et étranger, le sentiment de ne pas appartenir au territoire…

Extrait de "Zugunruhe", © Laia Gutiérrez
Extrait de “Zugunruhe”, © Laia Gutiérrez
Extrait de "Zugunruhe", © Laia Gutiérrez
Extrait de “Zugunruhe”, © Laia Gutiérrez

Selon toi, comment un lieu étranger impacte l’identité ?

Je pense que la relation que nous entretenons avec les endroits qui nous sont inconnus est très complexe. Il y a d’abord un premier choc, fait d’excitation et d’impatience. Puis il y a la prudence d’une approche pleine de réserve. C’est la découverte. Une fois cette ligne franchie, l’individu se laisse immerger pleinement ou demeure totalement étranger. Il y a un nombre infini de raisons qui peuvent pousser quelqu’un à partir. Avec Zugunruhe, je voulais exprimer cette angoisse qu’un individu peut éprouver dans un pays inconnu.

Comment cette parenthèse en Islande t’a impactée toi ?

En tant que photographe, je me suis servie de cette sensation comme d’une inspiration. Mais il faut vite en faire usage, car c’est un sentiment qui s’épuise vite.

« Dans la profondeur de la forêt résonnait un appel, et chaque fois qu’il l’entendait, mystérieusement excitant et attirant, il se sentait forcé […] de plonger au coeur de cette forêt toujours plus avant, il ne savait où ni pourquoi ». Cette citation de L’Appel de la Forêt, de Jack London, semble un bel écho à ton travail. Qu’en penses-tu ?

C’est une citation magnifique qui correspond tout à fait au propos de cette série. Zugunruhe, répond en effet à l’appel d’une nature sauvage qui révèle la notre, sauvage elle aussi.

Quelle est la photo de Zugunruhe que tu préfères ?

Celle qui montre cette pierre noire éclairée par une lumière qui révèle un petit cosmos très sombre parsemé de mousse végétale et de fleurs.

Extrait de "Zugunruhe", © Laia Gutiérrez
Extrait de “Zugunruhe”, © Laia Gutiérrez

Propos recueillis par Marie Moglia

Explorez
La sélection Instagram #538 : le grand manteau blanc
© Christie Fitzpatrick / Instagram
La sélection Instagram #538 : le grand manteau blanc
À l’approche des fêtes de fin d’année, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine capturent la poudreuse, les chutes...
23 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Chad Unger, feu tranquille
© Chad Unger
Chad Unger, feu tranquille
Chad Unger est l’auteur de la série au titre étrange et poétique Fire Barked At Eternity – littéralement « le feu aboya à l’éternité »....
20 décembre 2025   •  
Écrit par Milena III
4 livres à offrir à Noël : partons en vadrouille
American Album © Eloïse Labarbe-Lafon
4 livres à offrir à Noël : partons en vadrouille
Noël approche. À cette occasion, la rédaction de Fisheye vous concocte des sélections de ses livres photo préférés, que vous...
19 décembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #569 : Axel Pimont et Pierre Leu
© Axel Pimont
Les coups de cœur #569 : Axel Pimont et Pierre Leu
Axel Pimont et Pierre Leu, nos coups de cœur de la semaine, pratiquent avec retenue la photographie de rue. Si les deux cherchent à...
15 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
10 séries autour de la fête pour célébrer la nouvelle année
© Eimear Lynch
10 séries autour de la fête pour célébrer la nouvelle année
Ça y est, 2025 touche à sa fin. Dans quelques jours, un certain nombre d’entre nous célèbreront la nouvelle année avec éclat. À...
27 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dans l’œil de Marilia Destot : mémoire entre ciel et mer
© Marilia Destot / Planches Contact Festival
Dans l’œil de Marilia Destot : mémoire entre ciel et mer
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Marilia Destot. Jusqu’au 4 janvier 2026, l’artiste expose ses Memoryscapes à Planches...
26 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Vuyo Mabheka : de brouillon et de rêve
Indlela de la série Popihuise, 2021 © Vuyo Makheba, Courtesy AFRONOVA GALLERY
Vuyo Mabheka : de brouillon et de rêve
Par le dessin et le collage, l'artiste sud-africain Vuyo Mabheka compose sa propre archive familiale qui transcrit une enfance solitaire...
25 décembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Concours de beauté, métropoles et intimité : nos coups de cœur photo de décembre 2025
© Carla Rossi
Concours de beauté, métropoles et intimité : nos coups de cœur photo de décembre 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
24 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet