Ce samedi 29 avril 2023 a marqué le coup d’envoi du Champ des Impossibles. Créé sous l’impulsion de la directrice artistique Christine Ollier, le festival propose un parcours dans les contrées verdoyantes du Perche. Là-bas, entre les vastes prairies et les champs de colza se cachent de charmantes chapelles, des manoirs aux histoires étonnantes, mais aussi des fermes et des moulins typiques qui achèvent de nous immerger au cœur de ce territoire rural, souvent méconnu en dépit de la richesse de son passé. L’essentiel de ces lieux – restauré par des bénévoles pleins d’entrain qui participent activement à l’évènement – abrite aujourd’hui un ensemble de vingt expositions. Malgré les réticences de certains locaux qui, face aux problématiques agricoles, n’approuvent guère des dépenses publiques en faveur de l’art contemporain, la manifestation fait la part belle à cet espace préservé de l’urbanité grisonnante. En creux, elle témoigne également de l’importance d’évoquer la réalité de ces lieux tout en ouvrant de nouvelles perspectives.
Après avoir abordé la thématique de l’arbre, cette quatrième édition propose une déclinaison de perceptions du règne animal. « Les regards sont portés par la fascination pour le sauvage et l’infinie beauté des espèces, la dialectique incessante entre l’animalité de l’homme et l’humanité animale, la dénonciation de la violence, les volontés militant pour la protection des espèces, et aussi bien sûr par l’amour et la “coupable” tendresse que tout un chacun leur porte », explique Christine Ollier en note liminaire. Un tel programme suscite nécessairement d’innombrables questionnements ou autant de portes d’entrée vers un sujet complexe. Si certaines mythologies et religions ont pu célébrer les animaux, les sociétés spécistes se font l’apanage d’une modernité qui oppose les mondes civilisés et sauvages. Or, ces dernières années, les affres des dérèglements climatiques ont contribué à mettre à mal cette conception philosophique et sociale.
© Irène Jonas / Agence Révélateur
Une narration sensible
Quoiqu’une grande variété d’arts plastiques soit représentée au fil du parcours, les photographes ont investi plusieurs espaces. Nous retrouvons notamment Irène Jonas, dont les œuvres sont exposées à Méhery. Inspirée du travail de la peintre Rosa Bonheur, qu’elle considère comme son alter ego d’un siècle passé, l’artiste-sociologue a rephotographié des toiles animalières et des objets en noir et blanc. Les tirages ont ensuite été colorés au moyen d’huile aux nuances d’un temps révolu, oscillant entre les jaunes d’un âge d’or et le noir profond de l’oubli. Les ombres créées dans ce jeu de contrastes rappellent les souvenirs évanescents, ces Réminiscences qui surgissent par fragments au fil de déambulations hasardeuses. En contrepoint, les lignes nébuleuses cristallisent la fragilité du lien que nous entretenons avec toutes choses.
Cette délicatesse se retrouve d’une autre façon dans les clichés d’Anne Rearick, présentés en haut du Manoir de Couboyer, qui offre une vue imprenable sur les plaines alentour. Réalisé au cours d’une résidence de trois mois dans le Perche, Le Cheval de Monsieur Pellion et autres histoires tisse une narration sensible, empreinte d’humanité. Au gré de ses pérégrinations pédestres, la photographe américaine est allée à la rencontre de celles et ceux qui habitent le territoire. Dans ses monochromes de gris profonds, elle donne à voir la tendresse des regards, la générosité des gestes d’un quotidien dans lequel animaux et êtres humains semblent vivre en harmonie. Dans A Sensitive Education, Francesca Todde prolonge cette atmosphère paisible. Pour cette série exposée au Moulin Blanchard, l’artiste a suivi un éducateur d’oiseaux qui a fait des méthodes douces sa spécialité. Entre les préparations des volatiles à divers films et spectacles, Tristan Plot de son nom s’attache également à faire de la médiation pour créer du contact, par leur biais, avec des personnes âgées, handicapées ou incarcérées.
© Anne Réarick / Galerie Clémentine de la Féronnière / Agence VU’
Les témoins d’un autre monde
Enfin, cette démarche documentaire, si souvent rattachée à la thématique animalière, s’exprime avec justesse dans les œuvres d’Aurélie Scouarnec et de Jimmy Beubardeau. La première, dont les photographies parent les murs de la Pocket Galerie, a suivi pendant quelque temps les activités de Faune Alfort, une association du Val-de-Marne qui recueille des animaux blessés, malades ou orphelins. À l’image, nous retrouvons une fois de plus la douceur des gestes et des soins prodigués avant leur réinsertion dans leur habitat naturel. Cette série de clair-obscur incite celui ou celle qui regarde à prêter une attention particulière à ces créatures atrophiées et à se reconnecter avec la faune.
Jimmy Beubardeau s’est tout autant livré à un reportage mené en terre familière. Ses photographies de nuit, qui peuplent le Parc Naturel Régional du Perche, contrastent avec cet environnement qui n’est ouvert qu’en journée. Ses compositions se font les témoins d’un autre monde qui prend vie dès que le crépuscule paraît. Alors que les êtres humains regagnent leur domicile, les animaux sauvages sortent de leur tanière et profitent de ces instants en suspens où ils règnent en maître. Le calme de cette vaste réserve, où seul le tintement électrique et sporadique de barrières adjacentes se fait entendre, prolonge le sentiment de sérénité qui se dégage des clichés. Si cette atmosphère tranquille peut laisser l’esprit songeur, elle nous fait tout autant rêver d’une existence au sein de laquelle nature et civilisation ne sont pas incompatibles.
© Jimmy Beunardeau / courtesy Hans Lucas
© Anne Réarick / Galerie Clémentine de la Féronnière / Agence VU’
© Francesca Todde
à g. © Aurélie Scouarnec, à d. © Francesca Todde
© Aurélie Scouarnec
© Irène Jonas / Agence Révélateur
Image d’ouverture © Irène Jonas / Agence Révélateur