Brusquement, Jahel Guerra se retrouve au milieu d’une tempête de neige, incapable de voir quoique ce soit autour d’elle. Elle perd son sens de l’orientation et a le sentiment que tout ce qui l’entoure a été englouti. Pendant quelques minutes, c’est le grand vide : le whiteout ou “brouillard blanc” en français.
À travers ce projet, la jeune photographe d’origine vénézuélienne ne cherche pas à faire découvrir l’Islande mais à utiliser ce pays et ses personnages pour questionner l’oubli, la peur de se laisser aller et les souvenirs enfouis qui ressurgissent brusquement. Cette série, c’est l’attente, la tempête puis le calme, et l’horizon qui réapparait. Nous étions curieux d’en savoir plus et elle a accepté de répondre à nos questions sur ce travail très réussi.
FISHEYE : Comment as-tu eu l’idée de réaliser The Whiteout ?
Jahel Guerra : J’ai passé un mois à prendre des photos tous les jours pendant que j’étais en Islande du nord. Je ne savais pas exactement quelle forme mon projet allait prendre mais je capturais tout ce que je voyais, je visitais plein d’endroits, rencontrais des Islandais et était ouverte à ce qu’on me proposait. La tempête blanche au milieu de laquelle je me suis retrouvée a fait écho à ma situation personnelle. J’ai trouvé du réconfort dans ce passage du silence et de la tranquillité aux brouillards blancs. Ils sont devenus des personnages que j’ai essayé de suivre et d’observer pour voir comment ils se manifestaient et interagissaient avec mes autres personnages.
Tu avais déjà entendu parler de ce phénomène avant ?
Non. J’ignorais qu’on appelait ça des brouillards blancs jusqu’à ce qu’on retourne à Reykjavik en covoiturage et qu’on en traverse un. Notre conducteur nous a appris ce nom, c’était comme une révélation. À ce moment là, j’avais besoin de faire le vide moi aussi. Je passais mon temps à écrire et en rentrant j’ai tout relu et me suis mise à organiser ma série, tout doucement.
Que voulais-tu montrer avec ce travail ?
Le besoin de m’échapper, le sentiment d’être dans ma propre tempête et la possibilité d’en sortir en affrontant ses souvenirs et ses émotions paralysantes qui peuvent pourtant nous transporter si on les laisse faire.
Quelle est ton image préférée ?
Je tiens particulièrement à la photo où une fille galope à cheval à travers un lac gelé. Il s’agit de Sigurjóna, chez qui j’étais hébergée. Ses parents sont agriculteurs et vivent au milieu du nulle part. J’ai été éblouie par Sigurjóna dès que je l’ai vue. Elle a toujours refusé que je la prenne en photo, sauf à ce moment là, où elle monte à cheval. Il y avait beaucoup de vent, les conditions étaient difficiles. J’étais impressionnée mais ravie de vivre ce moment féérique avec ces personnes à l’arrière d’un 4×4, sur un lac gelé.
Où puises-tu ton inspiration ?
Ça dépend de l’état dans lequel je me trouve. La nature m’inspire beaucoup. Sinon, une idée peut venir d’une conversation avec un ami ou un collègue, d’un passage d’un livre ou d’un artiste que je découvre. Enfin, il y a plusieurs photographes très inspirants : Alec Soth, Hellen Van Meene, Jo Metson Scott, Viviane Sassen et mon amie Lita Bosch.
Sur quel projet travailles-tu actuellement ?
J’aime penser mes séries comme des journaux intimes et j’aimerais continuer à photographier de cette manière : créer des carnets de voyage et d’exploration personnelle. Je viens de commencer une collaboration avec un paysagiste d’un jardin de Londres, où je travaille comme photographe : nous faisons plusieurs expérimentations autour des plantes. C’est une façon de rester proche de la nature.
Pour finir, comment décrirais-tu tes photos ?
Des portraits atmosphériques et une observation subtile du quotidien.
Propos recueillis par Hélène Rocco
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