Le grand blanc

05 février 2016   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Le grand blanc
En Islande, Jahel Guerra s’est retrouvée au milieu d’un épais brouillard blanc et a consacré une série photo à ce phénomène appelé “whiteout”. Entretien par Hélène Rocco.

Brusquement, Jahel Guerra se retrouve au milieu d’une tempête de neige, incapable de voir quoique ce soit autour d’elle. Elle perd son sens de l’orientation et a le sentiment que tout ce qui l’entoure a été englouti. Pendant quelques minutes, c’est le grand vide : le whiteout ou “brouillard blanc” en français.

À travers ce projet, la jeune photographe d’origine vénézuélienne ne cherche pas à faire découvrir l’Islande mais à utiliser ce pays et ses personnages pour questionner l’oubli, la peur de se laisser aller et les souvenirs enfouis qui ressurgissent brusquement. Cette série, c’est l’attente, la tempête puis le calme, et l’horizon qui réapparait. Nous étions curieux d’en savoir plus et elle a accepté de répondre à nos questions sur ce travail très réussi.

FISHEYE : Comment as-tu eu l’idée de réaliser The Whiteout ?

Jahel Guerra : J’ai passé un mois à prendre des photos tous les jours pendant que j’étais en Islande du nord. Je ne savais pas exactement quelle forme mon projet allait prendre mais je capturais tout ce que je voyais, je visitais plein d’endroits, rencontrais des Islandais et était ouverte à ce qu’on me proposait. La tempête blanche au milieu de laquelle je me suis retrouvée a fait écho à ma situation personnelle. J’ai trouvé du réconfort dans ce passage du silence et de la tranquillité aux brouillards blancs. Ils sont devenus des personnages que j’ai essayé de suivre et d’observer pour voir comment ils se manifestaient et interagissaient avec mes autres personnages.

Photo extraite de la série "The Whiteout" / © Jahel Guerra
Photo extraite de la série “The Whiteout” / © Jahel Guerra

Tu avais déjà entendu parler de ce phénomène avant ?

Non. J’ignorais qu’on appelait ça des brouillards blancs jusqu’à ce qu’on retourne à Reykjavik en covoiturage et qu’on en traverse un. Notre conducteur nous a appris ce nom, c’était comme une révélation. À ce moment là, j’avais besoin de faire le vide moi aussi. Je passais mon temps à écrire et en rentrant j’ai tout relu et me suis mise à organiser ma série, tout doucement.

Que voulais-tu montrer avec ce travail ?

Le besoin de m’échapper, le sentiment d’être dans ma propre tempête et la possibilité d’en sortir en affrontant ses souvenirs et ses émotions paralysantes qui peuvent pourtant nous transporter si on les laisse faire.

Photo extraite de la série "The Whiteout" / © Jahel Guerra
Photo extraite de la série “The Whiteout” / © Jahel Guerra

Quelle est ton image préférée ?

Je tiens particulièrement à la photo où une fille galope à cheval à travers un lac gelé. Il s’agit de Sigurjóna, chez qui j’étais hébergée. Ses parents sont agriculteurs et vivent au milieu du nulle part. J’ai été éblouie par Sigurjóna dès que je l’ai vue. Elle a toujours refusé que je la prenne en photo, sauf à ce moment là, où elle monte à cheval. Il y avait beaucoup de vent, les conditions étaient difficiles. J’étais impressionnée mais ravie de vivre ce moment féérique avec ces personnes à l’arrière d’un 4×4, sur un lac gelé.

Photo extraite de la série "The Whiteout" / © Jahel Guerra
Photo extraite de la série “The Whiteout” / © Jahel Guerra

Où puises-tu ton inspiration ?

Ça dépend de l’état dans lequel je me trouve. La nature m’inspire beaucoup. Sinon, une idée peut venir d’une conversation avec un ami ou un collègue, d’un passage d’un livre ou d’un artiste que je découvre. Enfin, il y a plusieurs photographes très inspirants : Alec Soth, Hellen Van Meene, Jo Metson Scott, Viviane Sassen et mon amie Lita Bosch.

Sur quel projet travailles-tu actuellement ?

J’aime penser mes séries comme des journaux intimes et j’aimerais continuer à photographier de cette manière : créer des carnets de voyage et d’exploration personnelle. Je viens de commencer une collaboration avec un paysagiste d’un jardin de Londres, où je travaille comme photographe : nous faisons plusieurs expérimentations autour des plantes. C’est une façon de rester proche de la nature.

Pour finir, comment décrirais-tu tes photos ?

Des portraits atmosphériques et une observation subtile du quotidien.

JG_TheWhiteout_03_fisheyelemagJG_TheWhiteout_04_fisheyelemagJG_TheWhiteout_05_fisheyelemagJG_TheWhiteout_06_fisheyelemagJG_TheWhiteout_07_fisheyelemagJG_TheWhiteout_08_fisheyelemagJG_TheWhiteout_11_fisheyelemagJG_TheWhiteout_13_fisheyelemagJG_TheWhiteout_14_fisheyelemagJG_TheWhiteout_15_fisheyelemag

Propos recueillis par Hélène Rocco

En (sa)voir plus

→ Son site web

→ Son Tumblr

→ Son compte Instagram

Explorez
Festival InCadaqués : les coups de cœur de la rédaction
Hail Mary, bobbin lace, serpent’s thread © Emilia Martin, Special Mention InCadaqués Festival Open Call 2025
Festival InCadaqués : les coups de cœur de la rédaction
La rédaction de Fisheye a déambulé dans les rues idylliques du village de Cadaqués, en Espagne, à l'occasion du Festival Photo...
16 octobre 2025   •  
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
Residency InCadaqués 2025 © Antoine De Winter
13 expositions photographiques à découvrir en octobre 2025
La rentrée scolaire est souvent synonyme de foisonnement d'expositions. Pour occuper les journées d'automne et faire face à la dépression...
08 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Antoine Béguier, au cœur des strates identitaires du Kirghizistan
Autoroute de la soie © Antoine Béguier
Antoine Béguier, au cœur des strates identitaires du Kirghizistan
Antoine Béguier a parcouru le Kirghizistan pendant plusieurs années. Ses voyages et ses rencontres lui ont révélé un pays en pleine...
01 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Annissa Durar : une cueillette visuelle de senteurs
The Rose Harvest © Annissa Durar
Annissa Durar : une cueillette visuelle de senteurs
La photographe américano-libyenne Annissa Durar a documenté, avec beaucoup de douceur, la récolte des roses à Kelâat M’Gouna, au sud du...
13 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 13 octobre 2025 : parcours photographique 
© Sander Vos
Les images de la semaine du 13 octobre 2025 : parcours photographique 
C’est l’heure du récap ! En ce premier week-end des vacances de la Toussaint, les pages de Fisheye vous présentent des expositions à...
19 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Maryam Firuzi : broder la mémoire, photographier la révolte
© Maryam Firuzi
Maryam Firuzi : broder la mémoire, photographier la révolte
Photographe et artiste iranienne, Maryam Firuzi explore la mémoire collective et les silences imposés aux femmes à travers une œuvre où...
18 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Rachel Seidu : être queer à Lille et à Lagos, une fierté émancipatrice
Peas in a Pod II, Emma et Maë, Lille, 2025. © Rachel Seidu
Rachel Seidu : être queer à Lille et à Lagos, une fierté émancipatrice
Dans le cadre du programme hors les murs de l’Institut pour la photographie de Lille, l’artiste nigériane Rachel Seidu expose Peas in a...
17 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Goliarda Sapienza regardée par Francesca Todde
Francesca Todde, IUZZA. Goliarda Sapienza, Fiordo di Furore (SA), house built into the cliff rock, 2024
Goliarda Sapienza regardée par Francesca Todde
Avec IUZZA. Goliarda Sapienza, Francesca Todde propose un livre qui explore l’imaginaire de l’autrice sicilienne, sans chercher à...
17 octobre 2025   •  
Écrit par Milena III