Le trouble du jury

11 juillet 2018   •  
Écrit par Benoît Baume
Le trouble du jury

En ce mois de juin, j’ai eu la joie de participer au jury de fin d’année des étudiants de troisième et dernière année de la section photo/vidéo des Gobelins, la célèbre école parisienne de création artistique. L’invitation émanait de Jérôme, Ricardo et Fabrice, trois encadrants que beaucoup d’étudiants auraient aimé croiser un jour dans leur formation. Nous étions une bonne dizaine de professionnels : photographes, retoucheurs, réalisateurs, directeurs artistiques. Tous issus de maisons ou de parcours prestigieux. Face à nous, des étudiants – neuf filles et un garçon – qui venaient défendre individuellement leur mémoire accompagné de réalisations vidéo pour la plupart. Le point de vue est confortable, juges/jugés, professionnels/étudiants, groupe/ individu. Rien de très stressant donc de ce côté-là de la barrière. Et puis les présentations commencent et un trouble naît instantanément en moi. Les jeunes personnes en face de nous, qui sont censées être intimidées et anxieuses, se révèlent assez sûres d’elles. Le propos est assuré et le sens ne divague pas. Au-delà du fond et de la forme, c’est une certitude qui se dégage de ces papillons sortant du cocon et qui ont bien l’intention de séduire par leurs travaux tous ceux qui passeront à leur portée. Il n’existe aucun complexe d’infériorité, et ils nous parlent d’égal à égal et avec raison.

Le duo Ariane Lebon et Blanche Bourgeois se présente directement sous leur nom de scène, « Lebonbourgeois ». Elles présentent une vidéo admirable, montrent un book maîtrisé et savent compter sur des commandes de l’Oréal pour développer leurs travaux personnels communs. Elles ont tout compris à ce métier et à ces allers-retours entre artistique et commercial. Puis vient le tour de Sephora Kilbee, qui présente Air liquide, un clip sur la possible nocivité dans certaines relations amoureuses. Le propos est intelligent et la réalisation impeccable. Mais surtout derrière cela, la future diplômée (elle obtiendra une note de 16,42 de moyenne), propose une réflexion et une maîtrise des enjeux de narration et technique qui sont surprenants de maturité. Ce ne sont pas de jeunes gens qui se forment que nous avons en face de nous, mais bien des adultes déjà accomplis et prêts à en découdre dans ce milieu professionnel de l’image qu’on leur annonce si dur. Insouciants ou résistants, ils ont toutes les armes pour cartonner. Et cela crée d’ailleurs un certain émoi dans le jury qui voit arriver cette vague de surdoués avec autant de bonheur que de craintes pour la concurrence que cela leur promet.

Voici quinze ans, les étudiants en photo de Gobelins apprenaient à dupliquer des diapositives. Désormais, ils sortent avec un bagage technique et intellectuel qui leur permet d’avoir la force conceptuelle de Sophie Calle, la maîtrise technique d’un James Cameron, la vitalité créative d’un Man Ray, et l’humour noir d’un Martin Parr. Ces gamins savent tout faire. Il ne leur reste plus qu’à apprendre l’échec. Enfin, même pas en fait. Jade Deshayes, une des candidates, nous présente alors un mémoire sur la thématique « L’échec un passage obligatoire vers le succès ? ». Le propos est subtil et la vidéo hallucinante. Même dans l’échec, ils se révèlent brillants. Ce soir-là, je me suis couché un peu déprimé en me demandant si ce truc qui me grattait tout au fond de moi ne serait pas de la jalousie.

Image d’ouverture © DR

Explorez
Les coups de cœur #567 : Himanshu Vats et Grant Harder
© Grant Harder
Les coups de cœur #567 : Himanshu Vats et Grant Harder
Himanshu Vats et Grant Harder, nos coups de cœur de la semaine, explorent la nature, et les liens qu’elle entretient avec les humains. Le...
01 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 24 novembre 2025 : héritage, métamorphose et nature
Anish © Arhant Shrestha
Les images de la semaine du 24 novembre 2025 : héritage, métamorphose et nature
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye vous parlent d’héritage et de métamorphoses, et vous offrent même une autre...
30 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
À Chaumont-Photo-sur-Loire 2025, la nature se révèle picturale et sculpturale 
© Guillaume Barth
À Chaumont-Photo-sur-Loire 2025, la nature se révèle picturale et sculpturale 
Jusqu’au 22 février 2026, Chaumont-Photo-sur-Loire vous donne rendez-vous avec la nature. Pour sa 8e édition, l’événement accueille...
28 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La précieuse fragilité selon le festival FLOW#1
Les Fossiles du futur, Synesthésies océaniques © Laure Winants, Fondation Tara Océan
La précieuse fragilité selon le festival FLOW#1
Du 20 septembre au 30 octobre 2025 s’est tenue la première édition de FLOW, un parcours culturel ambitieux imaginé par The Eyes...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Nos derniers articles
Voir tous les articles
3 livres à offrir à Noël : réel, fiction et mode
Dior par Yuriko Takagi © Yuriko Takagi
3 livres à offrir à Noël : réel, fiction et mode
Noël approche. À cette occasion, la rédaction de Fisheye vous concocte des sélections de ses livres photo préférés, que vous...
05 décembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Pour Noël, Tendance Floue organise une vente de tirages à moins de 70 euros
© Céline Croze / Tendance Floue
Pour Noël, Tendance Floue organise une vente de tirages à moins de 70 euros
Jusqu’au 10 décembre 2025, les membres de Tendance Floue vous proposent d’acquérir certaines de leurs œuvres grâce à une vente...
04 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Kincső Bede : Déshéritée
© Kincső Bede
Kincső Bede : Déshéritée
Dans son livre Porcelain and Wool, Kincső Bede se réapproprie son identité transverse par des objets, des lieux et des tissus de la...
04 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
© Carla Rossi
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
Dans son ouvrage Bellissima, publié par Art Paper Editions, Carla Rossi explore les désirs, les façades et les codes qui façonnent la...
03 décembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas