Lee Miller d’Ellen Kuras sort en salles le 9 octobre prochain. À cette occasion, Kate Winslet, qui produit le film et y joue le rôle-titre, signe également l’avant-propos de Lee Miller. Photographies. Publié aux éditions Delpire & Co, le beau-livre retrace en images la carrière d’une photographe qui a marqué l’histoire du médium.
« Tant de femmes subissent leur destin… Lee Miller, au contraire, était de celles qui prennent leur destin en main », écrit Kate Winslet en avant-propos de Lee Miller. Photographies. Ce texte a pris forme sur le tournage Lee Miller, à Saint-Malo, ville dont la photographe a immortalisé le siège en 1944. Correspondante pour Vogue, accréditée par l’armée américaine, elle était alors la seule à couvrir l’évènement. Pour reprendre ses mots, elle « possédai[t] maintenant [s]a guerre personnelle ». Tout au long de son existence, Lee Miller a de fait été animée par le goût de la liberté, de l’engagement et de l’action. Tout d’abord mannequin à succès, elle a tôt fait de passer derrière l’objectif. Pour ce faire, elle se rend à Paris et étudie notamment la solarisation aux côtés de Man Ray, dont elle deviendra la collaboratrice, la muse et l’amante. Pendant longtemps, sa carrière sera réduite à cette idylle et à son physique. Il faudra attendre que son fils, Antony Penrose, découvre son œuvre pour que celle-ci gagne une notoriété nouvelle.
144 pages
37 €
Des photographies qui marquent les esprits
Si la biographie romancée d’Ellen Kuras, bientôt à l’affiche au cinéma, s’attarde sur les années 1938 à 1948, Lee Miller. Photographies témoigne d’une plus vaste période de sa vie. En introduction, Antony Penrose revient sur le singulier parcours de sa mère ou d’une femme téméraire qui s’est donné les moyens de ses ambitions. Le plus ancien des clichés pris par ses soins qui a été consigné dans l’ouvrage revêt d’ailleurs une portée symbolique. Il date de 1929, a été composé dans le studio parisien de Vogue et montre un sein sectionné à la suite d’une mastectomie. Cette scène, qui lui vaudra son renvoi, semble préfigurer l’horreur à laquelle elle fera face une décennie plus tard. Elle pourrait également être interprétée comme une métaphore : bien que ce sein ne soit pas le sien, telle une Amazone, la voilà prête à braver les interdits et à se faire une place dans un milieu misogyne.
Au fil des 144 pages se redécouvrent des photographies qui marquent les esprits. Les tableaux de mode et les portraits laissent rapidement place aux reportages de guerre, parmi lesquels figurent ses tirages les plus emblématiques. Chacun à leur manière, ils rendent compte de sa remarquable capacité d’observation. « Elle sait décrypter les scènes auxquelles elle assiste et les interprète avec des images aussi audacieuses que précises. Probablement s’est-elle familiarisée avec les gestes chirurgicaux lors de son séjour à Paris, où l’un de ses emplois réguliers consistait à documenter le travail du Dr Dax à l’Hôpital américain », suggère Antony Penrose.
Comme une constante, son attrait pour le surréalisme se révèle sur ses pellicules, mais ne subsistera pas. « Il s’est, à cette époque, produit quelque chose dans le psychisme de Lee qui a endommagé sa capacité à saisir dans son environnement des “images trouvées”. Sans doute a-t-elle souffert d’un syndrome de stress post-traumatique après la guerre, auquel a succédé, à ma naissance, une dépression post-partum », poursuit son fils. Le livre s’achève ainsi sur un tirage de 1953 qui, une fois de plus, prend des airs de métaphore. Nous y voyons l’illustrateur américain Saul Steinberg en train de se débattre avec un tuyau d’arrosage, « d’une manière très personnelle », indique le titre. Quoique teintée d’humour, cette séquence pourrait refléter, avec euphémisme, les pensées de la photographe. Jusqu’au crépuscule de son existence, Lee Miller s’est elle aussi battue, non pas contre un outil de jardinage, mais contre des maux, des images rémanentes qui l’ont bouleversée à jamais.