En mettant en scène sa famille et sa communauté, le photographe Leonard Suryajaya peint des tableaux absurdes, pour illustrer sa recherche d’identité. Une manière de faire sens de ses multiples origines et de son « étrangeté sexuelle ». Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
« La série
False Idol trouve son origine dans le désir de me définir, et de définir mon expérience de l’immigration. C’est une forme de droit de regard sur ma personne, et une manière d’exprimer ma quête pour être accepté en Amérique », explique Leonard Suryajaya, 32 ans, qui utilise la photographie, la vidéo, la performance et l’installation pour construire une œuvre complexe, riche de multiples lectures. Une œuvre hybride, à l’image de ce jeune artiste issu d’une famille bouddhiste, élevé par une nourrice musulmane et éduqué dans les écoles chrétiennes, en Indonésie, qui a émigré aux États-Unis à l’âge de 18 ans. Une période charnière au cours de laquelle son questionnement sur l’identité redouble d’intensité avec la découverte de son « étrangeté sexuelle » (« queerness »), qu’il n’ose déclarer à sa famille. « Je me suis trouvé au carrefour de différents pouvoirs, religions, cultures, philosophies, communautés et valeurs. Faire de l’art a été ma façon de traiter toutes ces forces déroutantes. J’ai développé un langage visuel à l’image de ma personnalité, de mon humour et de mon excentricité », analyse l’artiste.
Ses études à la School of the Art Institute of Chicago lui révèle son amour de la caméra : « Quand j’ai pris mon premier cours de photographie, j’ai réalisé à quel point c’était génial. Je pouvais me cacher dans la chambre noire tout seul et travailler sur mes histoires. » Un goût de la mise en scène qui le conduit à passer des heures à mettre en place son matériel et ses modèles – en premier lieu les membres de sa famille. « Mon travail est le reflet de mon expérience dans le monde. Je reconnais les forces conflictuelles qui me façonnent : mes échecs sont aussi importants que mes triomphes. La tristesse et le bonheur existent tous deux pour m’aider à naviguer dans la vie, mais le but de mes images est de vous faire envisager les différentes façons d’être, les différentes cultures. »
Un mécanisme pour comprendre son passé
Le projet False Idol commence à la fin des études de Leonard Suryajaya, quand ce dernier cherche à obtenir la green card en se mariant avec Peter, son compagnon. Véritable marqueur de sa vie, ce projet se développe durant quatre ans comme un mécanisme pour comprendre son passé, et faire face aux moments difficiles : dépression, trouble alimentaire, dysmorphie corporelle, maladie de sa mère… False Idol est d’une certaine manière « thérapeutique », selon l’expression de l’artiste, qui crée des tableaux absurdes mais affectueux mettant en scène sa famille et sa communauté. Des photographies tendres et critiques, qui lui permettent d’exprimer son humanité dans toute sa complexité. Des images fonctionnant de manière cumulative qui produisent des récits. « Au départ, c’était une façon de contester le processus rigide de l’immigration. Puis False Idol a évolué pour devenir une exploration de qui je suis, d’où je viens, quelles sont mes valeurs. Je suis une meilleure personne aujourd’hui que je ne l’étais au début du projet », observe l’artiste.
Le travail de Leonard Suryajaya est collectionné et exposé dans de nombreux musées de par le monde – États-Unis, Suisse, Singapour, Grèce – et a fait l’objet de plusieurs distinctions : prix de la Fondation Aaron Siskind, prix Artadia, bourse de la Fondation Robert Giard, prix de la New Artist Society, bourse commémorative James Weinstein, prix Claire Rosen et Samuel Edes pour artiste émergent, bourse de la Fondation Santo…
Cet article est à retrouver dans le Fisheye #44, en kiosque et disponible ici.
False Idol © Leonard Suryajaya